Amateur de rock depuis toujours, Erwan Larher avait décidé d'assister au concert des Eagles of Death Metal. Confortablement installé dans la salle, il avait commencé à savourer le moment, jusqu'aux premiers tirs. C'était le 13 novembre 2015, au Bataclan. Blessé, il a finalement réussi à s'en sortir. le livre qu'il ne voulait pas écrire est né de cette épreuve.
Erwan Larher était-il légitime à tirer un livre de ce drame intime ? En aucun cas a-t-il longtemps pensé. Une « mésaventure » personnelle qui n'aurait rien d'intéressant pour le grand public. Pourtant, les mots sont venus un jour, précédant même la décision d'écrire. Et c'est en sa qualité d'écrivain que l'auteur aux santiags s'est finalement décidé à publier ce livre qu'il ne voulait pas écrire, signant là un ouvrage puissant et utile.
Ce livre qu'il ne voulait pas écrire, j'ai souhaité le lire, vite, comme une évidence. La rencontre a comme je me l'imaginais, été au rendez-vous. Ce livre et son auteur font désormais parti de ceux qui comptent pour moi. En voici les raisons.
Pressé par des amis écrivains d'user de sa plume après l'attentat – Alice Zéniter et Manuel Candré en particulier –, Erwan tergiverse. « Tu n'es ni sociologue, ni philosophe, ni penseur ; victime ne te confère aucune légitimité à donner ton avis branlant et ajouré à la télévision ou dans un hebdomadaire. Toutes les paroles ne se valent pas. »
Le véritable sujet n'est pas, me semble-t-il, la légitimité, celle-ci ne faisant bien évidemment aucun doute à mes yeux, mais plutôt celui de l'utilité. À quoi bon témoigner, aux côtés de tous ceux qui le font ? Pourquoi répondre positivement aux sollicitations des médias qui, même les plus sérieux d'entre eux, s'accrochent à chaud à la moindre information sans aucun recul, parfois indécents voire obscènes ?
Alors, Erwan a pris son temps, un recul nécessaire, une distanciation indispensable pour évoquer cette tragédie, non en guise de thérapie comme beaucoup d'autres, sans haine rétrospective non plus, mais avec le désir de partager, de livrer à ses lecteurs des éléments nécessaires à la compréhension d'une situation extrêmement complexe. En somme, et avec pertinence, il a réussi à mettre son talent d'écrivain à profit. L'écriture a, en effet, cette vertu de permettre de dépasser largement l'intérêt individuel pour servir le collectif. Utiliser son talent pour rendre compte d'une situation tout en invitant le lecteur à réfléchir. « La littérature n'arrête pas les balles. Par contre, elle peut empêcher un doigt de se poser sur une gâchette. Peut-être, il faut tenter le pari ».
Une fois la légitimité du projet acquise et son utilité certaine, une fois les mots jaillis, comment les ordonner ? Vrai challenge auquel l'auteur s'est trouvé confronté ! Et qu'il a relevé avec brio ! Ce livre qu'il ne voulait pas écrire n'est au final ni un roman, ni un récit, ni une biographie, mais bien l'objet littéraire poursuivi, à la frontière des autres styles, très original. Erwan Larher a utilisé plusieurs astuces pour ce faire, à commencer par l'emploi de la deuxième personne du singulier, le « je » autofictionnel ne lui convenant pas. Il a aussi inventé les personnages des assaillants, s'adressant à eux en choisissant des noms fictifs, pour essayer d'approcher au plus près leur psychologie. Autant de moyens permettant d'impliquer le lecteur dans ses propos, le conduisant à entrer dans le livre sans rester à côté. Dernière originalité, et pas des moindres, l'insertion des « Vu de l'extérieur ». Erwan a sollicité un certain nombre de personnes, plus ou moins proches de lui, leur demandant d'exprimer la manière dont elles avaient vécu la soirée du 13 novembre, avant de savoir qu'il était encore en vie. Ces témoignages viennent ponctuer le récit, lui imprimant un rythme particulier, un certain relief aussi et une richesse indéniable. Certains m'ont davantage touchée que d'autres. Je pense notamment au « Vu de l'extérieur V » qui dès les premiers mots, m'a saisie et extrêmement émue : « ça creuse une proximité, de penser si fort à quelqu'un, de lui parler à distance, de prier sans foi, de croire comme une môme à s'en fendre les paupières... ». Extrait rédigé par une auteur sans aucun doute mais qui ? La pudeur des mots choisis par Erwan Larher transparaît aussi ici puisque les auteurs de ces vues de l'extérieur ne sont pas identifiés au coup par coup mais cités au début de l'ouvrage.
Autant d'éléments qui autorisent l'auteur à se tenir parfois à distance du récit, évitant, de fait , tout pathos. Pour autant, ne pensez surtout pas, en ouvrant ce livre, avoir affaire à une prose simplement originale. Préparez-vous à être secoué, gravement ! Certains passages se lisent en apnée. La scène de l'attaque est ... époustouflante, rendant parfaitement compte de l'état de guerre dans lequel se sont retrouvées toutes les victimes. Un style saccadé, au rythme des rafales, des mots répétés, scandés, des HURLEMENTS quasi audibles, et une mise en page venant alors habilement mettre en valeur les mots choisis.
Si Erwan Larher est parvenu à user de sa qualité d'écrivain pour partager sa douloureuse expérience, son humanité et sa sensibilité affleurent à chaque page du livre. Lui qui reconnaît avoir vécu cet événement comme une victime parmi les autres, regrettant parfois de n'avoir su se montrer davantage héroïque, délivre l'un des messages les plus forts que puisse receler un livre : celui du bonheur d'être vivant, porté par l'amour des siens : « j'ai découvert tout cet amour. Il a fait dévier la trajectoire de la balle, n'essayez pas de me prouver le contraire ». Allant à l'encontre des idées reçues qui voudraient qu'au moment critique, l'on voit sa vie défiler, on pense à ses proches… l'auteur confesse n'avoir ressenti que de la douleur, immensément, et la volonté que ça aille vite et que ça ne fasse pas trop mal, obsédé alors de faire le mort. Un fatalisme et une résignation véritablement surprenants. Et qui nous interrogent aussi : qu'aurais-je fait dans cette situation ?
Cher Erwan, sachez qu'avec ce livre que vous ne vouliez pas écrire, vous êtes vraiment à des années lumière de la super Lavette dont vous vous affublez à tort. Parce que partager, aussi douloureux que cela a dû être, c'est faire avancer la réflexion, en tenant à distance l'horreur vécue. Vous nous avez offert les mots indispensables pour nous permettre d'y voir un peu plus clair et nous rappeler combien le bonheur est fragile et ne tient souvent qu'à un fil.
Ce livre représente pour une moi une rencontre avec une magnifique plume qu'il me tarde déjà de lire à nouveau, en commençant par Marguerite et... ses fesses, des retrouvailles avec des auteurs, d'autres que je souhaite maintenant découvrir, une co-jurée du grand prix des Lectrices Elle et même une personne avec laquelle j'ai travaillé un temps et que je suis persuadée d'avoir identifiée dans les « Vu de l'extérieur » !
Je terminerai en citant à nouveau un extrait de ce livre, tellement juste et fort. L'auteur évoque les visites à l'hôpital de ses proches durant ses dures semaines d'hospitalisation : « Comme c'est bon, putain ! Pourquoi pas tous les jours ? Pourquoi pas à chaque instant de nos vies ? Pourquoi attendre les drames ? Voilà quelques années que tu as décidé de dire que tu les aimes à ceux que tu aimes, de dire quand c'est bien, quand c'est beau, quand c'est touchant. D'exprimer tes sentiments. D'essayer d'être gentil et bienveillant contre le cynisme ambiant et ton fond fier et égoïste. Ca change tout. L'amour autour, en donner, en recevoir, ca change tout. Tant pis pour les pisse-froid ».
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