Citations sur Le Grain des mots (20)
Car les mots ont un grain, qu'on peut toucher comme une peau, qui nous émeut comme une voix, ils ont un grain de beauté qui nous bouleverse, un grain de folie par quoi soudain le monde apparaît différent, bizarre, nouveau.
Rencontrer un mot comme on rencontre quelqu'un.
Libre est un mot simple, ou qui devrait l'être : on le dit d'un seul souffle et on l'est d'un seul tenant, semble t-il. Pourtant, libre marche en équilibre sur le fil du sens, risquant à tout moment la chute - chute libre, certes, mais au bout de laquelle il volerait en éclats.
Parlons d'amour, donc, parlons de l'amour. Mot sacré et sacré mot, n'est-ce pas ? - le genre dont on se méfie parce qu'il est tellement galvaudé, mais s'en lasser jamais, en s'enlaçant souvent. C'est un mot riche, en apparence, dont le verbe dérivé désigne aussi bien le sentiment qu'on porte à sa femme, à ses enfants, à son chien, au Beau, à la philosophie ou à la blanquette de veau.
Regarder
Regarder, c'est aussi garder, avoir en garde. Le regard est une réponse, une responsabilité; regarder nous garde de la barbarie (..) Soyons donc attentifs, donnons ce que nous avons de plus justement respectueux, ce que les Américains appellent : Best regards. (p. 23)
Humanité
On ne naît pas humain, on le devient. Et ce qui peut aider à cette conquête, me semble-t-il, c'est l'étude de tout ce qui nous est propre - hommes et livres, oeuvres humaines-et qu'on nommait d'un mot si beau, autrefois, maintenant désuet, quand on disait : faire ses humanités. (p. 33)
Penser
Quelle douceur, alors, qu'une pensée de toi à moi, de l'un vers l'autre !(...) ce qui nous permet d'en jouir , ce sont les mots : impossible de penser sans eux, vraiment. (...)Les mots nous veulent du bien, ils ne demandent qu'à nous panser. (p. 17)
Toucher
Les mots ont une faveur spéciale, parce que leur caresse m'a déjà sauvé la vie, et à d'autres , aussi. Donc, lorsqu'un mot me touche, je le manie moi-même avec douceur et ardeur mêlées, puis, dans l'espoir de vous faire partager ce bonheur, ici même aussitôt je vous en touche un mot. (p. 72)
--- Chose-----
S'il y a une chose passionnante dans le langage usuel, c'est cette sorte de mots qui en remplacent d'autres et viennent au pied levé secourir notre impatience et servir notre désinvolture-truc bidule machin chose. Ils valent aussi bien pour les noms propres. (...)
- "Vous lui direz bien des choses" (p.37)
Etre à la merci de quelqu'un, voilà qui enlève au mot toute son urbanité et ramène le corps social dans la féodalité, où nous nous voyons malgré nous taillables et corvéables à merci. (p.50)