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Critique de Kirzy



°°° Rentrée littéraire 2022 #2 °°°

Le 7 janvier 2021 la parution de la Familia grande ( Camille Kouchner ) révèle l'inceste commis par l'éminent politiste Olivier Duhamel, et le silence de la mère de la victime, Evelyne Pisier, qui savait et s'est tue . Pour Caroline Laurent, née en littérature avec Et soudain la liberté, écrit à quatre mains avec Evelyne Pisier qui lui confié sa mémoire, son passé et sa jeunesse pendant six mois d'amitié intense, l'amie d'Olivier Duhamel après la mort brutale d'Evelyne, c'est « la catastrophe ». Ce que nous désirons le plus raconte l'année vécue par Caroline Laurent après la déflagration, ou comment se reconstruire après le choc et renaître.

D'emblée, on est frappé par la sincérité et la liberté de la mise à nu de cette écrivaine qui croit devenir folle en découvrant la vérité, harcelée par les médias qui cherchent des témoins appartenant au camp des bourreaux. Comme si elle endossait le rôle de la complice. A-t-elle été manipulée ? pourquoi n'a-t-elle rien deviné ? l'amitié avec le couple incestueux était-elle sincère de leur part ? Caroline Laurent trouve les mots idoines pour décrire la violence tangible de ce qu'elle a ressenti :

« le sol s'est ouvert en deux. Autour de moi avait commencé à grouiller une terre noire et gluante. C'était une terre pleine de doigts. Les fantômes m'appelaient. »
« On a coupé mes mains et pourtant elles me brulent. »
« Quand je n'écris pas ma tête hurle. du bruit dedans, du bruit dehors, du bruit à en devenir dingue. J'écris pour retrouver le silence. »

Une douleur, diffuse, irrationnelle l'empêche d'écrire comme avant, avortant ainsi son roman qui était en cours et lui semble désormais à la fois dérisoire et faux. le surgissement d'un réel inimaginable lui rend impossible toute tentative d'écriture.

« L'impossibilité d'écrire n'est pas le silence. Ce serait même l'inverse. Quand je n'écris pas, ma tête hurle. du bruit dedans, du bruit dehors, du bruit partout, du bruit à en devenir dingue. J'écris pour retrouver le silence. J'écris aussi pour danser. le silence est espace, et l'espace est mouvement. Ne pas y arriver fait de moi une paralysée, assignation intolérable, comme est intolérable la danse qui bout dans les veines, se cherche un corps et ne rencontre pour s'exprimer que des membres amputés. »

Les deux premiers chapitres sont absolument passionnants dans la réflexion impulsée par ce drame qui empoisonne sa chair. On a l'impression d'être dans la tête de l'auteure qui questionne avec classe et intelligence son chagrin et sa sidération afin de comprendre pourquoi elle s'est effondrée. A partir du chapitre 3, elle décide d'enquêter sur sa douleur, cherchant les manques et les lignes de fuites dans son histoire familiale, interrogeant ses origines et son couple, dans le même élan qui la pousse à fuir à l'étranger, à marcher dans la nature, seule. Ce récit de reconstruction passant par le voyage, la marche et la nature est plus classique, moins puissant que les chapitres précédents mais toujours porté par la même qualité d'écriture.

Dans cette aventure intérieure, son objectif est de reconnecter à son désir (comme l'exprime très bien le titre, tiré d'une citation du Coût de la vie, de Deborah Levy) et donc à l'écriture. Cela passe par des amitiés littéraires qui l'accompagnent durant toute cette année à guérir. Deborah Levy donc, Joan Didion et surtout Annie Ernaux qui lui dit que l'écriture est «comme un couteau» dont il faut accepter le danger ou encore « D'avoir vécu une chose, quelle qu'elle soit, donne le droit imprescriptible de l'écrire. »

Ainsi accompagnée, tout ce qu'elle dit sur le pouvoir de l'écriture, qui permet de mettre à distance le chagrin et ainsi pousse vers une projection qui déparalyse, est vraiment très juste et permet de faire connaissance avec cette écrivaine qui parvient à mettre l'urgence de ses tripes en mots sans aucune impudeur ni afféterie . Sa sensibilité a rencontré la mienne, me donnant encore plus envie de lire ses prochains romans.
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