Cette version de la pièce est celle de 1964 (adaptation par Jean Cau de la version d'origine de la pièce). Depuis
Edward Albee a modifié plusieurs fois sa pièce, d'une part pour adapter la langue des personnages à l'évolution de la langue, d'autre part pour rendre son texte plus elliptique, augmenter l'intensité des non-dits. Mais l'intrigue reste identique à elle-même, seule l'efficacité change.
Cette pièce est devenue depuis un grand classique du théâtre américain. L'auteur a reçu trois fois le prestigieux Prix Pulitzer, toute son oeuvre repose sur une critique féroce de la vie américaine de son temps (bien-pensance et hypocrisie de la bourgeoisie). Dans cette pièce il y a critique du culte du succès, du culte du corps et du milieu universitaire, entre autres.
La pièce repose sur un huis-clos. Un couple de quinquagénaires (Martha, femme au foyer, fille du grand patron de l'université et George, professeur d'histoire dans cette université) invite, à l'issue d'une réception donnée par le père de Martha, un jeune couple : Nick, jeune professeur de biologie, nouveau sur le campus, et son épouse Honey. Tous sont très alcoolisés dès le début et continuent à boire durant toute la pièce.
Martha est acerbe, grossière, hystérique, par moments brutale et violente. Georges est d'une intelligence redoutable, il paraît effacé et se révèle sournois et d'une perversité inquiétante. Nick est opportuniste, arriviste, sans aucun scrupule. Honey est évanescente, elle a l'air sotte et angélique alors qu'en fait elle est assez froide et sèche.
Le couple de George et Martha se déchire depuis des années, rejouant la même scène de ménage bien rodée, si possible sous les yeux effarés d'un public vaguement innocent. Devant Honey et Nick, ils vont s'invectiver, s'humilier l'un l'autre, puis jouer avec leurs invités de façon plutôt cruelle, mettant à jour chez eux des fêlures bien cachées. C'est un grand déballage. La pièce est efficace, l'atmosphère qui s'en dégage est délétère et toxique, il y a de petites vacheries de couples au quotidien, mais pas que … l'auteur va très loin dans le spectacle des souffrances cachées, des mascarades, ce n'est pas très reluisant et met le lecteur comme le spectateur très mal à l'aise. Je pense qu'il est difficile de ressortir indemne d'une représentation de cette pièce.
Elle est construite en trois actes qui, curieusement portent des titres, "L'échauffement", "La nuit de Walpurgis" et 'L'exorcisme", cela monte crescendo, mais à la fin, au matin, George et Martha se retrouveront seuls, apaisés, mais jusqu'à quand ? Car rien ne dit que ce rituel malsain ne va pas recommencer.
Le sens du titre, a priori énigmatique, est, une phrase que se lancent les protagonistes sur l'air de « qui a peur du grand méchant loup ? ». Sa signification est, selon l'auteur lui-même, « qui a peur de vivre sans illusions ? », « qui a peur d'affronter la réalité ? ».