Qu'est-ce qui est plus cruel que de baver devant un titre depuis l'annonce de sa parution, voir les collègues chroniqueurs et la presse n'en dire que du bien et l'encenser, et, arrivé au ¼, se demander si on parle bien du même pavé ? Il n'y a rien de plus cruel en littérature, oui.
La part du démon est le premier roman de
Mathieu Lecerf, un thriller attendu depuis sa sortie, à la couverture sacrément élégante et mystérieuse, et au contenu… mitigé.
Un tel roman avait tout pour me plaire ; le début nous happait dans une atmosphère sordide et sanglante, avec la découverte d'un corps, certes pas celui de notre affaire, mais les choses étaient posées : vous qui lisez ces pages, ayez l'estomac dur. le duo de flics, Esperanza et Manuel, dit Manny, promettait une dynamique de qualité, avec les premiers échanges, le caractère de chacun… Quant à notre meurtre, nos meurtres devrais-je dire, ils donnaient l'eau à la bouche – façon de parler – avec l'aura sinistre que l'on retrouve souvent dans les histoires de couvents, d'orphelinats… Tous les éléments répondaient présent pour un thriller psychologique exquis.
Seulement, voilà, ce n'était que le début.
La part du démon s'enfonce hélas rapidement dans quelques clichés redondants et imbuvables, du moins le sont-ils pour moi après quatre ans à lire dans le genre. Peut-être devrais-je me montrer moins sévère, mais le cliché de l'enquêteur mal dans sa peau me court sur le système, tout comme Esperanza. de même, impossible d'y échapper aujourd'hui, les baises torrides entre la flic et son supérieur s'entassent dans un langage cru et vulgaire, pas que cela me dérange, mais la manière dont les événements sont arrivés est tellement peu crédible. Depuis quand les amants se connaissent-ils ? Je n'oserais même pas répondre. Il y a bien une raison à ce cirque d'aubergine et de pêche, sans saveur hélas, tant elle est vue et revue.
Entre le cadavre d'une religieuse et la mort criminelle de plusieurs chauffeurs de taxi, il y a la mise en page de toute cette intrigue. Trois personnages qui racontent la même chronologie, mais selon leur point de vue. D'abord Esperanza et ses baises, ensuite Cristian et son blabla familial, et après, Manny… Une mise en page que certains adoreront, il est vrai qu'elle n'est pas commune ; d'autres comme moi la trouveront lassante, redondante. Voilà qui m'aura valu d'abandonner
La part du démon, arrivée au chapitre 44, après m'être débattue contre des scènes sans intérêt qui s'enchainent, des pans de vie des enquêteurs et le trop peu de place laissée au plus important : les enquêtes.
Une chose tout à fait inhabituelle s'est alors passée. C'est-à-dire que j'attendais ce roman avec la plus grande impatience, et de constater que je suis complètement passée à côté ne me faisait pas plaisir ; au contraire, j'en ressentais de la honte. Après l'avoir tant attendu, après avoir vu les critiques élogieuses, comment ai-je pu passer à côté ? Alors j'y suis revenue un mois après, parce qu'abandonner un tel roman, je me sentais coupable. Ridicule, mais voilà, j'ai repris là où je m'étais arrêtée, ce fameux chapitre 44. Non sans mal. Voyez-vous, l'écriture n'est pas vilaine du tout, elle est même excellente, violente, grinçante.
Mathieu Lecerf n'a pas à rougir de sa plume, elle sait saigner les âmes autant que les cadavres. Mais où est le côté thriller ? Où est la tension ? Ce potentiel qui tarde trop à se montrer ?
C'est avec la honte et la culpabilité que j'ai lu en diagonale ce qu'il me restait de pages, et je peux vous le dire maintenant : mon avis ne change pas, je suis quand même passée à côté d'un trésor. La sordide vérité cachée dans les 100 dernières pages, admettons les 150, ne suffit pas à redresser le tout. Manipulations et sévices, cadavres qui s'empilent et traumatismes n'y feront pas, je sors quand même profondément déçue de ma lecture. Psychologie fouillée, probablement pour nous faire adhérer aux personnages, susciter l'émotion… pourtant la magie ne fonctionne pas ici, malgré l'histoire touchante de chacun. Parce qu'il ne suffit pas de plonger à corps perdu dans la psychologie dérangée et la vie fracassée de tous ces personnages. Il faut aussi de la tension, des enjeux qui dépassent l'habituel, quelque chose !
La part du démon s'en sort à merveille pour traiter ses personnages, la direction prise a un potentiel énorme, mais la forme, les clichés, ce trop plein de traumatismes pour créer de l'empathie envers ces êtres inaccessibles… Je regrette profondément de ne pas être tombée sous le charme de cette lecture, plus encore parce que je ne sais même pas si j'aurais envie de lire la suite quand elle se présentera. Dilemme des plus désagréables, et c'est bien la première fois que ça arrive. Une relecture me fera peut-être changer de vision, plus tard ; quoi qu'il en soit, mon avis ne doit pas vous empêcher de vous lancer dans ce premier tome de la trilogie Esperanza Doloria, ne prenez pas le risque de rater un potentiel coup de coeur !
Note : 2/5
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