Citations sur Un abri de fortune (136)
Denis regarde sa patiente lui sourire. Elle n'a jamais cessé de le faire, même aux pires moments. Parfois, elle rit en pleurant à chaudes larmes. Le jour et la nuit sur le même paysage. Cacher les fissures sous une fine couche de joie feinte sans pour autant les reboucher. La misère sous la tapisserie.
Rémy est en train de devenir lui-même.
La prison a été sa salle d'accouchement.
Il est venu renaître ici.
Les hommes peuvent bien s'entretuer, les oiseaux continuent à chanter. En prison, les oiseaux peuvent bien chanter, les hommes continuent à s'entretuer.
Autour de lui, les cimes des grands arbres oscillent avec le vent, les feuilles bruissent, les insectes volent en tous sens dans une étrange danse, le bois mort repose et nourrit les vivants. Et lui, assis là, immobile, à se demander pourquoi. Pourquoi lui, pourquoi là, pourquoi cet éternel recommencement, quand le soleil se lève ?
En même temps, quand on remue trop le passé, il se remet à bouillonner et ça finit par éclabousser.
Il aimerait casser les rétroviseurs. Ne plus regarder en arrière. Seulement devant. Lancer sa voiture à pleine vitesse sur une piste vierge et se laisser manger par l'horizon en fermant les yeux, lâcher le volant, les poumons gonflés d'avenir.
Il rêve de l’odeur d’une pluie d’orage sur un sol brûlant, d’un lever de soleil sur une colline endormie, de toucher un arbre, qu’il ait cent ans ou deux seulement, de s’égratigner contre l’écorce, de regarder les feuilles tomber puis d’autres repousser au printemps suivant. Il rêve de tout ce qui raconte les recommencements. Les cerisiers en fleur qui annoncent le printemps, les agneaux dans les champs qui tapent dans les pis de leur mère pour grandir goulûment, les colchiques à l’automne qui font oublier l’été brûlant, les rentrées littéraires, le réveillon de Noël.
A- t- on le droit de renaître à soi- même ? de passer l'éponge et de jeter aux rapaces les miettes de son passé triste ? de faire comme si on apparaissait au monde, vierge de tout, pour se laisser une deuxième chance.
Si tu veux être aimé, respecte ton amour.
Si l’effort est trop grand pour la faiblesse humaine
De pardonner les maux qui nous viennent d’autrui,
Épargne-toi du moins le tourment de la haine ; À défaut de pardon, laisse venir l’oubli.
Les morts dorment en paix dans le sein de la terre : Ainsi doivent dormir nos sentiments éteints.
Ces reliques du cœur ont aussi leur poussière ; Sur leurs restes sacrés ne portons pas les mains.
Alfred de Musset, « La nuit d’octobre
Il se sent seul de ne pas être follement aimé. De ne pas désirer. Seul dans son lit le soir quand il faut se coucher, seul en pensant à l’avenir. Qui pour l’accompagner ?
Il doit tout recommencer. Se tisser un réseau solide comme une toile d’araignée. Il aimerait des voisins qu’on connaît juste comme ça pour échanger trois mots de météo, des amis avec qui partager des soirées, un amour avec lequel fusionner. Est-il prêt à prendre des risques ?
Ou alors apprivoiser la solitude, ne plus se sentir dévoré de l’intérieur par le vide comme une mauvaise lèpre qui vous laisse en lambeaux.