J'ai réfléchi à la question. Un jour, quand j'étais tout gosse - je devais avoir dans les six ou sept ans - , j'ai reçu une bonne raclée avec la ceinture paternelle et je me suis aussitôt précipité dans la chambre que je partageais avec ma sœur. Elle était là, agenouillée près de ses poupées, et je l'ai frappé de toutes mes forces à l'arrière du crâne. Son expression à ce moment là - mélange de stupeur, de frayeur, mais aussi de résignation empreinte de lassitude - s'est gravée à tout jamais dans mon cerveau. A tel point que même maintenant, au bout de vingt-cinq ans, lorsque son visage d'enfant de neuf ans a surgi devant moi dans ce café de Back Bay, j'ai cru étouffé sous le poids de ma honte.
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- Non, merci Tony. J'essaie d'arrêter la bière au petit-déjeuner.
- C'est un truc religieux ?
- Quelque chose comme ça.
- Pourquoi on dit qu'on va aux putes, mais pas qu'on va au docteur ? a soudain demandé Bubba.
Il a bâillé derrière son poing en regardant dehors.
- Aucune idée.
- C'est déjà ce que tu m'as dit la dernière fois que je t'ai posé la question.
- Et ?
- Et j'aimerai bien qu'on me réponde, bordel. ça m'énerve, mais ça m'énerve...
-C'est peut-être ça, le châtiment que Dieu réserve aux pécheurs.
-Qu'est-ce que vous voulez dire, docteur ?
Il a de nouveau fermé les yeux.
-Il nous laisse vivre.
Ah, Bubba et son trench...Parfois, je jurerais qu'il transporte un supermarché entier, là-dedans.
Même dans une pièce pleine de voleurs, de braqueurs de banques, de bookmakers et de tueurs, Bubba dégageait quelque chose d'électrique, une impression de danger et d'irréalité. A son approche, le sourire des hommes vacillait légèrement et le visage lifté des femmes reflétait un mélange de peur et d'excitation.
La réception sentait le chien mouillé, les copeaux de bois, l'eau de Javel et le papier journal souillé par des matières fécales et des flaques d'urine.
- Hé, espèce d'enfoiré, oublie pas de dire bonjour à ce foutu clebs de ma part, d'accord ? a lancé Bubba, avant de pulvériser la cervelle de Scott Pearse.
Bubba a encore grogné. Il n'allait plus tarder à hurler à la lune.
//----Dédicace : ----//
Pour mes amis
John Dempsey, Chris Mullen et Susan Hayes,
Qui m'ont laissé leur voler
Certaines de leurs meilleures répliques
Sans porter plainte.
Et pour
Andre,
Qui nous manque beaucoup.
//---- Titre original : Prayers for Rain ----//
//---- Citation d'ouverture :----//
J'ai entendu les plus anciens dire,
"Tout ce qui est beau s'en va
Comme emporté par les eaux."
W. B. Yeats