-Daddoul! Il a la chiasse!
-Louis, enfin! protesta Angèle.
Il feignit un petit geste d'excuses, mais la nouvelle, si elle était vraie, était d'importance.
-D'où le tenez-vous? demanda Jef.
Louis hésita. Mais il était bien obligé de se lancer.
-Doueiri. Le Docteur Doueiri.
La nouvelle perdit aussitôt toute crédibilité. Cet imbécile, incapable de discerner une attaque d'apoplexie d'un rhume de cerveau, n'était encore le médecin de bien des familles de Beyrouth que par une habitude qui ne devait rien à sa compétence. Qui tombait réellement malade n'aurait jamais eu recours aux services de celui qu'avec une tendresse mêlée de pitié tout le monde ou presque appelait "cet imbécile de Doueiri".
Même la police de Vichy n'atteignait pas ce degré de froideur, de distance,d'indifférence à la douleur que permet la connerie pure.
Aucun des trois enfants n'avait songé à Lucien Rozier depuis le match assez calamiteux auquel ils avaient assisté à Beyrouth.
— Eh bien, je vous le donne en mille... Il est en finale, notre Lulu !
— Bravo, dit sobrement Hélène
— Qu'est-ce qu'il a dû prendre dans la gueule..., ajouta François
— Il est assez éprouvé, je dois reconnaître...
La petite Colette était en danger, chacun maintenant le savait, mais cette menace venant de sa propre mère paraissait si monstrueuse qu'il était impossible de l'aborder de front, c'est ainsi que se forgent les secrets de famille, que se nouent les culpabilités collectives.
Avoir vu, parlé avec quelqu'un dont vous apprenez soudain la disparition provoque toujours un sentiment de sidération.
Or, le jaloux au nom de son chagrin, pense vite qu'il a tous les droits. François devint bête.
- Qu'est-ce que c'est que ça ?
Elle désignait son index qui portait encore la trace du tampon encore.
- Ils ont pris mes empreintes...
Geneviève était blanche.
- Tes...
Sa lèvre tremblait légèrement.
- Des vraies empreintes digitales avec... le tampon encreur ?
Jean en tremblaient lui aussi.
- Mais enfin ! Va me nettoyer ça tout de suite ! Tu vas tacher tes vêtements et ceux de ta fille, elle n'a pas besoin de ça pour être sale du main au soir ! On voit bien que ça n'est pas toi qui laves, merci bien, etc.
Si l’avortement était une affaire de femmes, sa répression restait principalement une affaire d’hommes.
S'il avait été un personnage de roman, on aurait dit de lui : "C'est un bourru".
Car nos secrets, nos turpitudes, nos silences, nos violences, nos mensonges sont comme les ruines de Chevrigny. Recouverts, ils n'en continuent pas moins d'exister.