Avec
Écorces vives d'
Alexandre Lenot, j'en suis à ma quatrième lecture pour cette session des 68 premières Fois…
Ce roman m'a énormément perturbée…
Je vais donc commencer par chercher des clés de lecture dans le titre, dans ces « écorces » dont il est ici question. L'écorce est la première couche protectrice, la seule que l'on voit la plupart du temps, le seul aspect visible de quelque chose, l'aspect extérieur, l'enveloppe… une fois appliquée aux personnes, l'écorce devient métaphoriquement l'apparence de quelqu'un, ce qui cache ce qu'il est vraiment au fond de lui, une façade ou une vitrine en quelque sorte. Ce mot véhicule aussi une notion de dureté : l'écorce n'est pas une peau ou alors une peau qui a durci, qui semble morte à l'extérieur, sèche et rugueuse.
Dans ce roman, les écorces sont vives, les écorces sont ce que l'on voit où ce que l'on croit comprendre des personnages ; sous leurs dehors rustres, rustiques, sauvages, discrets, taiseux, ils sont impatients, emportés, excessifs ou, plus positivement, capables de réagir vite et bien dans certaines situations.
Tous les personnages de ce livre ont des fêlures, se sont créés des carapaces de protection pour tenir debout, même les plus antipathiques. Tous véhiculent une certaine ambivalence, comme s'ils étaient tous à deux doigts de basculer du côté obscur ou dans la lumière.
Certes, ils répondent à quelques clichés du roman noir : le gendarme qui a tout donné pour son métier, arrivé là pour couper avec son passé, la jeune femme venue du nord qui en a pas mal bavé, le couple d'américains dont on ne sait pas grand-chose, la veuve qui se demande si elle va rester ou partir, sa nouvelle amie à la fois belle et mystérieuse, l'incendiaire qui a tout perdu, les éleveurs taiseux, les chasseurs stéréotypés… Mais tout cela est revisité, mis en perspective par une ambiance faite de préjugés et de vieilles rancunes dans une nature encore un peu sauvage.
Ce roman les surprend tous à un moment donné de leur vie, nous les donne à voir évoluer et se débattre, puis nous laisse imaginer leur devenir, entre ceux qui restent et ceux qui partent, toujours avec leur part de mystère, le voile à peine levé pour mieux retomber.
Le lieu est ici un personnage à part entière… Les noms sont inventés et pourtant ceux qui connaissent un peu ces coins perdus du Massif Central vont s'y retrouver.
C'est ce qui m'est arrivé et qui m'a perturbée; je connais très bien un endroit d'où l'on voit de loin le Plomb du Cantal, à proximité des gorges d'une belle rivière et d'un barrage asséché il y a quelques années pour y faire des travaux (j'y étais justement cette année-là et j'ai vu le village englouti), pas très loin non plus d'une chapelle abandonnée… Là, je fais de longues randonnées, seule avec mon chien et souvent mon portable ne capte plus alors je dis toujours de quel côté je vais, au cas où… C'est une zone que nous parcourons à pied ou avec des chevaux, on y passe des ruisseaux à gué et mon mari et mon chien se sont baignés au bas d'une cascade que peu de gens connaissent…
Nous avons nos marques dans un hameau perdu ; nous y savons des tensions entre deux familles, les gens sont peu communicatifs, on se salue quand on se croise et on évoque la météo… Nous tenons le chien en laisse à proximité des troupeaux, nous refermons bien les clôtures quand nous devons les passer à cheval et nous évitons les jours et les zones de chasse… Nous croisons souvent des chevreuils, des renards, des rapaces…
Nous faisons nos courses dans une commune de mille habitants environ dont nous connaissons la gendarmerie et sa sympathique équipe… Je réalise qu'en vous racontant tout cela, je vous parle du roman d'
Alexandre Lenot.
En effet, après avoir lu et apprécié
Écorces vives, je me dis que ce roman semble tout droit sorti et inspiré de cet endroit que je connais et qui compte beaucoup pour moi mais que les gens n'y sont quand même pas comme dans le livre, quoique, si on se mettait à gratter l'écorce, si on cherchait plus avant, il y aurait peut-être des traces de cette mélancolie, de cette révolte et même de cette hostilité et qu'il n'en faudrait pas beaucoup pour que les tensions provoquent un tel western rural.
La quatrième de couverture recommande de se méfier de la terre qui dort ; je pense à ces pays préservés, encore sauvages, à la dureté de leur climat, quand au début du printemps, c'est encore l'hiver… Je réalise qu'il y a comme une menace que j'avais peut-être un peu entrevue.
Écorces vives n'est qu'un roman, un roman noir, mais un roman qui interroge, qui pose les jalons de l'altérité entre indifférence, méfiance et rejet, entre accueil, ouverture et acceptation.
Un bon roman noir, dérangeant et magnifique, mais qui laisse peut-être trop de zones d'ombres dans son dénouement.