Citations sur Lou, après tout, tome 1 : Le grand effondrement (46)
" Trop penser au passé, c'est le meilleur moyen d'y passer."
C'était une devise courante chez les survivants, une formule facile à retenir, dont l'auteur était resté inconnu. On la voyait souvent taguée sur des ruines ou sur d'anciens panneaux routiers indiquant des destinations qui n'existaient plus...
Et c'était vrai, au moins en partie.
Guillaume, à l'époque, lisait comme on se noyait. Pour oublier le monde autour de lui.
Le sens de l'humour était indispensable, même dans l'horreur.
Surtout dans l'horreur.
Sa mémoire était devenue une mémoire de survivant. Elle était pleine de trous parce qu'il ne pensait qu'à une seule chose depuis si longtemps : ne pas mourir et que Lou ne meure pas.
Il se rappelait seulement qu'adolescent, et cela lui paraissait remonter à une éternité, il avait regardé des films d'épouvante. Il avait aimé avoir peur, sans doute parce que la peur sur écran était presque rassurante en comparaison de ce qui se passait dans le monde réel. À cette époque, les cinémas avaient disparu parce que les gens restaient chez eux pour regarder leurs écrans-feuilles, leurs tablettes ou, pour les plus riches, les holo-tv qui donnaient l'impression que les acteurs jouaient devant vous, dans votre salon. Les gens se méfiaient de l'extérieur. Il y avait trop de dangers, d'attentats, d'émeutes, de maladies nouvelles liées à la pollution ou à la nourriture.
On n'était bien que chez soi, le plus souvent perdu dans la Réalité Augmentée.
A cause des chiens. Pour Lou et Guillaume, cela avait commencé à cause des chiens. Pour Lou et Guillaume, cela s’était terminé à cause des chiens. Même si les chiens n’y étaient pour rien, ou presque.
J'écris à nouveau des poèmes, j'en envoie quelques-uns par mail à la revue qui en avait déjà publié. Je ne sais pas qui les lit, qui prend encore le temps pour ça. Je reçois parfois des messages de lecteurs, qui me disent que cela les aide.
Je suis touché, j'ai l'impression d'être utile. Je sais que je ne sauve personne, ou alors d'une manière différente en rendant ce que moi, j'éprouve quand je lis la poésie des autres : une forme de paix, presque de bonheur, au coeur de ce monde épouvantable.
La poésie, c'est au moins la consolation de nommer ce qui ne va pas.
Pour elle, avec son odeur de menthe sauvage, sa musculature de jeune louve, ses cheveux en broussaille blonde, ses yeux couleur de sous-bois en automne et toujours un peu cernés, le temps ne voulait plus rien dire.
Grâce à toi, j’ai découvert la poésie, j’ai appris à apprécier la beauté du ciel.
Plus tard, bien plus tard, quand je serai avec Lou sur les routes de la fin du monde, je maudirai souvent ces smartphones et ces appareils qui avaient été remplis de centaines de photos des jours heureux. Parce que nous ne prenions jamais le temps d'en faire des tirages papier, parce qu'on se disait qu'elles seraient toujours là, stockées sur une machine ou une autre.
Et puis il n'y a plus eu de machines, d'un seul coup.
Et toutes ces traces de millions d'existences ont disparu, pour toujours. J'aurais aimé, parfois, alors que Lou dormait à côté de moi, dans un hangar désaffecté une voiture abandonnée , pouvoir trouver, dans une poche de mon treillis, quelques photos de mon passé.