AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
3,8

sur 55 notes
5
3 avis
4
6 avis
3
0 avis
2
0 avis
1
2 avis

Critiques filtrées sur 4 étoiles  
La France s'est enfermée dans les discours de haine et de rejet de l'autre. Elle est sortie de l'Union européenne. À l'occasion est née la Franco. Pas un pays où l'on aimerait vivre : répression, flicage permanent grâce aux moyens technologiques qui progressent régulièrement et permettent de savoir presque en permanence qui fait quoi. Face à cette société orwellienne, des individus (ou plutôt, pour être dans la tonalité de l'ouvrage, des individu.e.s) résistent. Passivement, activement, à la ville, à la campagne, ouvertement, clandestinement. Mais iels résistent. Et cela donne Subtil béton, une ode à la liberté.

Subtil béton n'est pas un roman ordinaire. On le découvre dès la recherche du nom de l'auteur : Les aggloméré.e.s. Qu'est-ce donc ? La réponse, ou plutôt, une piste de réponse, nous est proposée en fin d'ouvrage, dans une partie d'une dizaine de pages retraçant de façon précise (les étapes de leur histoire apparaissent clairement) et floue à la fois (pas de noms, pas de lieux, mais des dates). C'est un collectif mouvant, aux frontières inexistantes, aux membres fluctuants. Ce que l'on sait, c'est que c'est avant tout un groupe de femmes qui supportent mal ce monde empli d'hommes cis qui ne posent aucune question sur la légitimité des hiérarchies en place. Des personnes qui veulent bouger et faire bouger et qui ont trouvé dans l'écriture une manière d'exprimer leurs idées en même temps que de les faire connaître.
Subtil béton est donc un roman écrit à plusieurs. Et cela se ressent dans la narration et, surtout, dans le style. C'est même légèrement perturbant au début, quand on passe d'un chapitre à un autre, donc d'un personnage à un autre, mais, vraiment pour certains, d'un univers à un autre. Y compris dans la façon d'écrire. Même l'écriture « inclusive » n'est pas formatée de la même façon : usage de majuscule finale (« AucunE »), des points (« tout.e.s »), des apostrophes (« certain'e's »). Parfois, cela va plus loin : virgules laissées de côté dans les énumérations, points et majuscules supprimés. Chaque personnage possède son identité dans l'histoire et dans la façon dont il est écrit. Mais que cela ne vous fasse pas peur. Même pour moi, qui suis très sensible à ce genre de détails, passées quelques pages de surprise, tout se met en place très vite dans l'esprit et la narration reste éminemment fluide.

C'est bien beau de parler de style et de norme, mais l'intérêt de Subtil béton, c'est tout de même son histoire. Et là aussi, on est gâté. le monde décrit ici n'est que le nôtre dont on a poussé un peu les limites. Les discours de haine qui fleurissent dans les médias et aux tribunes des hommes et femmes politiques ont définitivement porté leurs fruits : la France s'est refermée sur elle-même et fait la chasse à ceux qu'elle considère comme étrangers, déviants ou indésirables. La répression est d'une violence sans commune mesure. Les évènements de 2037, avec la mort de plusieurs manifestants, marque les esprits et déclenche les peurs. Comme dans pas mal de dictatures, le pouvoir a tous les droits et la police multiplie les exécutions, plus ou moins légitimes. On est loin de l'utopie dont parle Fredric Jameson dans ses Archéologies du futur. D'autant que la technologie permet un « flicage » plus intensif : on sait quand vous avez pris tel ou tel transport, on sait ce que vous avez acheté, où et quand (les emballages contiennent des puces), on sait ce que vous consommez comme eau, électricité. Et tous les mois, on récupère vos données personnelles afin de les sauvegarder. Bref, chaque individu est une série de données stockées et utilisées pour assurer le pouvoir des classes dirigeantes.
Les personnages que nous suivons sont en désaccord avec cet état de fait. Et ils veulent soit tenter de changer les choses, soit, au moins, ne pas vivre de façon moutonnière et ont choisi la clandestinité. Et, surtout, la vie en communauté.

Et c'est le point essentiel, selon moi, de ce roman. Comment parvenir à cohabiter avec d'autres personnes. Avec des gens qui n'appartiennent pas à votre famille, mais que vous avez choisis car ils ont avec vous des idées communes, des plans communs. le récit donne à voir des dizaines de scènes du quotidien de ces lieux de vie partagés entre personnes pas toujours réellement compatibles, mais qui veulent un avenir différent. Et la gestion de ces endroits est une telle source de tensions, de conflits ! On a l'impression d'assister à certaines réunions qui durent, qui tournent autour du pot pour ménager toutes les susceptibilités. Qui prennent des heures pour finalement aboutir à pas grand-chose pour certains, à un pas de géant pour d'autres.
Un objectif lie toutes ces personnes et sert de fil rouge à Subtil béton. Objectif qui peu à peu prend de l'ampleur et culmine dans la dernière partie, dont la structure change (plus de chapitre par personnage, mais des chapitres où chaque changement de paragraphe introduit la vision d'un des personnages qui vit la scène : procédé à peine déstabilisant, voire enrichissant, car la narration est fluide). Mais en attendant, les groupes se font, se défont, se fondent, se scindent. Les individus s'apprivoisent, se supportent malgré, parfois, de lourds contentieux. Les autrices sont parvenues à relier de façon convaincante plusieurs histoires et, ainsi, à former un récit qui tient la route. Quelques temps morts ralentissent le rythme au milieu du livre, mais sans que cela soit rédhibitoire.

Pour ne rien gâcher, Subtil béton est un beau livre. Pour visualiser un peu mieux les lieux du récit et leurs liens, une carte de type IGN, mais légèrement modifiée, avec des dessins, des textes,est proposée en fin d'ouvrage. Et pas une petite carte. Elle mesure pas loin d'un mètre de haut ! de quoi prolonger l'immersion. D'autant que le roman est accompagné d'illustrations dont on comprend le sens vraiment sur la fin, mais qui apportent un vrai plus à cette histoire.

Subtil béton est une expérience intégrale, qui plonge le lecteur dans le quotidien plus ou moins réaliste, plus ou moins fantasmé, de la vie en communauté, loin de la tyrannie imposée par un gouvernement de plus en plus prescripteur. Un regard profond sur une autre façon de vivre ensemble.
Lien : https://lenocherdeslivres.wo..
Commenter  J’apprécie          574
J'ai pris ce roman dans la librairie @librairielatalante il y a quelques semaines. J'ai eu la chance d'avoir la carte géante qui est sublime. Merci ! Si vous passez sur Nantes, allez-y, car ils sont adorables et de bons conseils.

Subtil béton est un roman collectif mettant en lumière des sujets forts, mais surtout importants. Nous passons d'un chapitre à l'autre avec des styles très différents. Pour certaines personnes, vous allez pouvoir y découvrir l'écriture inclusive...

La France ici n'est plus celle que l'on connaît. le patriarcat, le racisme, la manipulation de l'opinion publique, la répression, la jeunesse face aux actes, les camps de rééducation, la crise du logement... N'est qu'une partie de ce rejet et de cette haine de l'autre. La France est devenue la Franco et elle est sortie de l'Union Européenne. C'est donc notre monde poussé à l'extrême, mais de façon réaliste.

La population est sans cesse surveillée par des moyens technologiques de plus en plus avancés et efficaces : puces... Mais certaines personnes réussissent à déjouer les lois. Et surtout, des jeunes et des moins jeunes vont combattre pour leurs droits. Les luttes clandestines prennent de plus en plus de place, inquiétant l'État.

Ces personnes ne veulent plus être mises à part pour leurs origines, leurs orientations sexuelles, leurs genres, leurs catégories sociales, leurs handicaps... le prix à payer va parfois être très fort.

Nous vivrons avec ces gens partageant le même combat et qui se rassemblent dans les mêmes lieux de vie. Les scènes sont intéressantes, mais parfois traînent en longueur. le tout est un roman qui vaut totalement le détour et qui marque à coup sûr.

Toutefois, j'ai une petite réserve qui avec les longueurs ont fait en sorte que j'ai mis 4/5 et non 5/5. Comme dans beaucoup de lutte, les propos sont souvent trop dans l'excès. J'ai par ailleurs eu l'impression qu'il y avait un degré de "privilège" au sein des militants qui rendaient les propos ou les actes valides ou non.

Subtil béton, c'est un futur possible
Commenter  J’apprécie          182
Subtil béton , c'est avant tout une aventure humaine, et la formule n'est pas ici galvaudée : fruit d'un travail d'écriture collective entamé en 2007, c'est près de soixante-dix personnes qui, de près ou de loin, dans l'écriture ou la logistique, furent impliquées dans ce projet. Quinze ans plus tard, la publication de ce livre en est un (premier ?) aboutissement.

L'élégante couverture reprend des motifs de la carte « type IGN », incluse dans la troisième de couverture, et qui promet à elle seule de longs moments d'observation, de déambulation, de découvertes, jusqu'à se perdre dans son urbanisme tentaculaire.

Dans une ville portuaire fictive de la façade Atlantique, au passé négrier, des mois de troubles durant l'année 2037 aboutissent à une insurrection. La riposte du pouvoir sera brutale et sanglante, puis sournoise et diffuse, sans jamais se départir totalement d'une violence frontale… Mais alors, une énième dystopie sur la société du contrôle ? Assurément, mais bien davantage aussi. Car un souffle novateur est porté par cette expérience totale.

Chroniques de l'après-écrasement – pour preuve, l'insurrection est traitée en une trentaine de pages –, de la mise en place de stratégies de survie, l'une des problématiques déployées par les Aggloméré·e·s est celle de l'amitié politique, évoquée dès les premiers chapitres. de discussions interminables en débats frustrants, c'est toute la fragilité de l'organisation collective qui est décrite. Ce qui la rend aussi belle et nécessaire.

Par sa vision d'un futur proche et totalitaire, comme dans son côté choral, Subtil béton fait immanquablement penser aux Furtifs d'Alain Damasio (cf. Bifrost 95), mais en plus fin politiquement, en plus ciselé dans la polyphonie (polyphrénie, dirait Damasio), bref, en plus… subtil !

Vous remarquerez peut-être un changement de « plume » lors du passage d'un personnage à une autre. Auquel cas, vous aurez été piégé par vos projections, car l'aspect « collectif » de l'écriture fut total. Chaque page fut retravaillée des dizaines de fois, par un nombre littéralement incalculable de personnes. Au fil des parties, les chapitres passent d'individualisés (un prénom) à collectifs (plusieurs prénoms), pour finir par une anonymisation (plus de prénoms). le fond et la forme en osmose, la construction du livre comme mise en oeuvre du projet politique porté.

Au-delà de la carte, précédemment évoquée, un site internet permet de prolonger l'expérience, regorgeant d'anecdotes sur l'élaboration du livre et de ressources ayant servi à la nourrir. le tout, tournant autour de l'écriture et de la lutte. Tel est en fin de compte l'objet de Subtil béton : l'écriture pour la lutte, et la lutte par l'écriture. La fusion de l'intime et du politique.

Un livre important, à partager pour en faire un support de lecture collective – quel plus bel hommage ?

Critique parue dans le Bifrost 106
Commenter  J’apprécie          80
Ce sont l'aventure de l'écriture collective et sa durée (de 2007 à 2021) qui ont attiré mon attention vers ce roman d'anticipation qui pose la question de la survie collective après une répression politique massive : »Comment se remettre à vivre, comment trouver une force collective quand tout va mal, comment militer ? Comment ne pas nous laisser démonter sans pour autant nier nos faiblesses, nos blessures ? Comment cesser de séparer la vie et la lutte, et, finalement, nourrir une culture non-viriliste de l'engagement ? »(p498)

J'ai aimé ce roman tant pour sa forme que son contenu car chaleureux, vivant, tout tourné vers la relation humaine au quotidien, dans la complexité des histoires singulières en interaction, et dans l'impérative confrontation au réel.
Là où « Viendra le feu » de Wendy Delorme , sur le même thème, m'avait lassée de sa sécheresse désincarnée ne sachant opposer à la grisaille répressive qu'une idéalisation mélancolique de la sororité, émotions et affections sont ici pleinement vécues, explorées, modulées à l'épreuve des jours et des événements. C'est effectivement Subtil à souhait, et Béton, car bien que certaines scènes se déroulent à la campagne, nous sommes dans le gris bétonné de la lutte des gentils contre les méchants qui ont gagné, sans analyse du système en place et de son idéologie, et, bien qu'en 2041, les bouleversements liés au changement climatique sont inexistants tandis que l'atteinte à la biodiversité n'apparaît que de manière anecdotique. Ce sera pour le prochain livre, car ici tout est concentré sur le vivre ensemble face à l'oppression, à l'extrémité atteinte par la domination patriarcale.

C'est l'intelligence collective tournée vers la subsistance qui se glisse dans les fissures, y trouve matière à rêver et élan pour tenter le tout pour le tout vers… ce qui ressemble fort à une version hallucinée de « l'avènement du grand soir », cette bonne vieille espérance à la peau dure, et douce.
Commenter  J’apprécie          70
Subtil béton est un ovni comme je les aime. Roman choral et dystopique, il porte les voix de personnages queer luttant pour exister et résister à une société autoritariste.
J'ai été touchée par les parcours et les personnalités des protagonistes. Les voir vivre et se battre ensemble, s'interroger sur leurs conditions de cohabitation et s'apporter mutuellement de la tendresse m'ont fait chaud au coeur. On sent dans l'écriture de ces personnages les différentes voix du collectif à l'origine du roman. J'ai l'impression que chacune de personnes intervenues dans l'écriture a apporté un peu d'elle-même dans ces personnages, ce qui contribue à faire leur épaisseur et leur singularité.
Les signes d'une écriture collaborative sont aussi visibles dans les différents types de langage inclusif utilisés, ainsi que dans le côté expérimental de la syntaxe choisie pour un des personnages (Onik ?). J'ai lu certaines critiques qui regrettent cet aspect en ce qu'il peut rebuter ou freiner la lecture. C'est une critique légitime parce que la lecture n'est pas un exercice accessible et fluide pour tout le monde. Pour ma part, si je pense que c'est important de garder ces limites en tête, j'ai quand même apprécié de voir ces écritures plurielles se côtoyer dans un même texte, et ce côté « laboratoire d'écriture » qui affirme sa dimension collective.
Alors que son écriture a commencé en 2007, Subtil béton résonne avec l'actualité de cette première moitié d'année 2023. C'est la preuve que les tendances observées au début des années 2000 se renforcent, et pour moi cette lecture tombe à pic. J'ai beaucoup apprécié de ne pas lire de passages explicitement violents, comme on nous en impose trop souvent dans les dystopies. le cadre dans lequel se déroule le récit est celui d'une société autoritaire et discriminatoire comme on en voit dans la plupart des récits de fiction dystopiques, mais on ne s'appesantit pas ici sur les violences subies par les personnages jugés « hors-normes ». Ce qui compte, ce n'est pas de montrer comment la société violente, écrase et cherche à lisser les corps et les identités, mais plutôt de faire la place aux contre-récits, à l'espoir, à la construction de lendemains meilleurs. Il y a évidemment un côté idéaliste à tout ça, mais les ami·es et camarades en lutte que l'on suit dans ce roman ne sont pas présenté·es comme parfait·es et toujours d'accord. Laisser de la place à leurs imaginaires et à leurs joies, tempérés par les tensions que n'importe quel groupe peut traverser, donne une idée de ce que c'est qu'être solidaire et militer ensemble. On retrouve dans tout ça l'idée d'une « joie militante » qui m'a fait beaucoup de bien.
C'est aussi la première fois que je vois dans un roman un aussi bon exemple de ce qu'Ursula le Guin (dont une citation ouvre d'ailleurs le livre) ou Donna Haraway appellent de leurs voeux lorsqu'elles évoquent la puissance des récits de spéculation. On a déjà notre lot de récits de fiction qui dépeignent un futur sombre, et s'ils sont intéressants pour mettre en garde, ils ne sont pas toujours très bons pour le moral. Les Aggloméré·es répondent ici à la nécessité d'écrire, de créer, de laisser s'épanouir des imaginaires où on se bat pour protéger ce et celleux qu'on aime. Ce n'est pas un manuel pratique, mais pour moi c'est tout comme un phare.
Commenter  J’apprécie          60
Ce livre avait tout pour me plaire, me transporter et me faire rêver, surtout vu le climat actuel en France. J'espérais aussi j'avoue, y trouver des réponses concrètes sur l'organisation de groupes ou la façon de s'engager sans se mettre en danger.
Et bien cette lecture m'a légérement prise au dépourvu. Je ne vais pas vous mentir, il m'a fallu un peu de temps pour rentrer dans l'histoire car c'est dur de s'attacher rapidement à autant de personnages (roman choral oblige) mais une fois qu'on s'habitue et que l'action se met en place les pages défilent. Il y a évidemment des maladresses et autres, c'est un premier roman collectif, par exemple la fin m'a paru un peu décousue mais à part ça j'ai trouvé que beaucoup d'idées intéressantes nourrissaient la lecture. L'usage de l'écriture inclusive m'a également plu, je trouve que ce livre est un bel exemple pour prouver qu'elle ne freine pas la lecture.
En bref, ce livre n'est pas un coup de coeur, certaines choses auraient peut-être pu être plus approfondies mais dans l'ensemble l'existence de romans comme celui-ci est je pense nécessaire pour montrer les dérives qui peuvent nous guetter (nous la France) et pour nous rappeler qu'avec des convictions du courage et un groupe on peut faire changer les choses. L'espoir existera toujours, rien n'est jamais joué, et je vous conseille ce livre pour vous le rappeler.
Commenter  J’apprécie          60

Lecteurs (208) Voir plus



Quiz Voir plus

Les plus grands classiques de la science-fiction

Qui a écrit 1984

George Orwell
Aldous Huxley
H.G. Wells
Pierre Boulle

10 questions
4961 lecteurs ont répondu
Thèmes : science-fictionCréer un quiz sur ce livre

{* *}