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Clément Bénech dans son roman Un vrai dépaysement convie son lecteur à l'installation d'un jeune professeur qui débarque en Auvergne alors qu'il avait pensé enseigner en Guyane, cette fois ce sont les tribulations de l'enseignant Guillaume ,parachuté au Nunavik, que Jean-Pierre Létourneau relate en flashback. le glissement du « tu », au « il », selon la temporalité , peut dérouter. Tantôt il s'adresse à celui qu'il était, tantôt à celui qu'il est.
L'auteur nous offre une immersion parmi les Inuits de Kuujjuaq , sur les berges de la rivière Koksoak. Beaucoup de mots en italiques ou typiquement canadiens, ou termes de hockey, parsèment le récit ( puck, bannique et confiture de chicoutés, un pays drette, drave, des uluit…) sans que cela fasse obstacle à la compréhension. On est juste dépaysé.
Par exemple, on réchauffe les repas sur une truie ( petit poêle).
Une carte au début du livre permet de visualiser le trajet effectué en avion
par le protagoniste, du Sud au Nord du Québec.

Beaucoup d'Inuits sont trilingues. Leur quotidien bégaie souvent en trois langues , mais lui, le professeur ne connaît ni leur langue maternelle, l'inuktitut, ni leurs coutumes.
Le dépaysement est immédiat : comment ne pas « massacrer »  le patronyme des élèves, en les prononçant?! Il lui faut s'adapter, apprendre à décrypter le langage de leurs yeux : ils disent oui en ouvrant les yeux et les ferment pour le non.
On sent le malaise du prof le jour de la rentrée devant sa classe, un groupe de douze ados, en capuchon, qui ressemblent plus à «  un troupeau de boeufs musqués ». On devine sa frustration d'enseigner «  dans le vide » et il devient source de risée auprès de ses élèves, n'ayant pas les codes des autochtones

De même, l'ennui, la solitude pèsent sur Guillaume qui aimerait boire une bière avec des potes : « mais où sont les hommes ? » s'interroge-t-il ?
La peur de se perdre dans la toundra le confine à son appartement, devant la télé. Mais pratiquant le hockey, il se hasarde un jour à l'aréna, et ne manquant pas de talent, réussit à se faire adopter par les joueurs et même à intégrer même une équipe locale.
Un membre de l'équipe, Thomassie, l'entraîne à la chasse au caribou.

L'auteur déroule l'expérience de ses trois années dans le Nord , son plaisir de coucher dehors dans des « sleepings » qui sentent le bois, ainsi que ses années d'étudiant consacrées au «  planting ». Il joue sur les mots : « la momie a du millage » !

L'année sabbatique qu'il s'octroie va lui permettre de partager son vécu avec ses propres enfants. Ceux-ci vivent au contact avec la nature, font des sorties en raquettes, moto-neige, n'aiment pas entendre la nuit les hurlements de coyottes.
Ils sont biberonnés aux récits d'aventures, savent observer la faune ( loutres..), les oiseaux, les arbres. Ils questionnent sans cesse, avides de savoir le sens des mots , comme par exemple « sentimental » !
Le père se livre aux confidences telle sa rencontre avec leur mère dans le Nord :
«  c'était ma voisine. Un soir, je suis allé lui porter un bol de bleuets cueilllis dans la toundra. Avec le sirop d'érable de grand-papa. Et vous voilà. »
Il se souvient du moment où sa femme Caroline attendait leur premier enfant qui porte le prénom de la mère défunte de Guillaume, comme dans la tradition des Inuits.

Il revit une chasse au dindon au cours de laquelle il n'a pas tué d'animal, mais est revenu les yeux éblouis par sa rencontre avec le piranga écarlate, aux plumes vermeilles.

Guillaume ressuscite également ses souvenirs avec son père, dresse son portrait pour ses enfants : « un ramassseux » et lui rend hommage au moment de vider la maison en bois typiquement canadienne. La lettre que son père lui a laissée est poignante.

Une autre lettre tourneboule le protagoniste, c'est son vibrant message d'adieu destiné à ses élèves ( lettre qu'il n'a jamais postée), elle émeut doublement le lecteur en raison du dénouement. On éprouve de l'empathie pour cette famille qui a vu partir en fumée cette
«  tente prospecteur » (1) qui a nourri tant de rêves et a abrité tant de moments privilégiés.

L'écrivain restitue , au point de nous transir de froid, la vie d'antan durant les hivers rigoureux: le travail des femmes, l'esprit de fête dans la communauté immobilisée par la période de neige, de gel.
Il montre comment le paysage subit le déboisement pour faire arriver une autoroute, troublant la sérénité des lieux pour ses enfants. Guillaume commente le reportage d'un journaliste qui évoque la tragédie Inuite : «  tout ce qui est écrit est terriblement vrai, exact », «  la beauté d'un jour d'hiver se dépose en eux comme un flocon sur la langue. » Les splendeurs du ciel émerveillent : «  aurores vertes et rouges ».
Ce premier roman convoque celui de Claudie Hunzinger pour cette proximité, cette osmose sensuelle avec la nature. Tous deux savent la décrire avec des phrases merveilleuses.
La poésie s'invite amplement dans les descriptions des lieux où les aurores boréales sont fréquentes : « le vent fait danser les cristaux de glace entre les branches. »

Ce roman s'inscrit dans la lignée de l'écrivain , « nature writer », Rick Bass,(2) auteur que Jean-François Létourneau lit et cite en début de l'ouvrage. Comme lui, il a tenu un journal dont il partage des pages. On ressent l'ensauvagement du décor dans « la prucheraie ».
Le lecteur sensible à la « perfusion » des paysages qu'offre cet ouvrage sera comblé.

(1) Tente construite des mains du protagoniste, qui lui a permis de vivre davantage en osmose avec la nature.
« A l'origine, la tente prospecteur était utilisée par les indiens montagnais prospecteurs des contrées nord-amérindiennes puis par les chercheurs d'or. Nouvelle tendance du tourisme de plein air et véritable art de vivre, cet hébergement atypique réconcilie la nature, le confort et l'authenticité. »


(2) le journal des cinq saisons de Rick Bass.
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Il fut un temps où les Inuits chassaient le caribou sur des traineaux avec leurs chiens, mais les motoneiges les ont remplacés et les peuples du Nord canadien ont du s'adapter aux transformations que leur a imposées le monde moderne.
Guillaume, jeune professeur de français, choisit d'aller exercer pour son premier poste à Kuujjuaq, en pays Inuit, et le dépaysement dépasse de loin tout ce qu'il avait imaginé.
Pourtant, il réussit son intégration grâce au hockey et parvient à se faire apprécier par ce « peuple du soleil levant » et à aimer passionnément ce village loin de tout, pendant les trois années où il y vivra.
Mais lorsque sa femme Caroline, rencontrée dans ce territoire sauvage, tombe enceinte, ils choisissent de revenir vivre auprès des leurs, dans le Sud.
Happé par le passé, Guillaume se souvient de son père qui vivait en osmose avec la nature et lui transmettait une sagesse faite de connaissances ancestrales. Face à la transformation du monde qui l'entoure, il regrette ces jours heureux passés dans la toundra, sous le vent et les aurores boréales et se dit que ses enfants eux, vont devoir « apprendre à tout perdre ».
Un premier roman rythmé par la nostalgie et le regret du temps passé qui m'a semblé bien pessimiste quant à l'avenir de notre Planète et de ses régions encore sauvages.
J'ai regretté cette vision très négative d'un monde qui va inexorablement changer et il me semble que la seule façon de ne pas le regarder disparaître, c'est d'avancer avec lui et de l'accompagner vers ce qui peut être positif pour demain.
Si le vocabulaire et les expressions canadiens ne me sont pas familiers, l'écriture poétique de Jean-François Létourneau est universelle et ce voyage vers les régions sauvages du Grand Nord est néanmoins superbe.

Merci à Babelio et aux Editions de l'Aube pour ce roman reçu dans le cadre d'une Masse Critique.
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Le territoire sauvage des âmes de Jean François Létourneau
Editions De l'Aube


Kuujjuap sur le bord de la rivière Koksoak, c'est là que Guillaume fera ses premiers pas en tant que professeur, « massif laurentien, le gardien de l'arrière-pays, ce que les gens de Montréal appellent le Nord. »
Heureusement, ils ne sont que douze, douze ados Inuits à le fixer en silence. Il va falloir relever la gageure, celle de se faire accepter, de parvenir à communiquer, à transmettre. Gagner la confiance de la classe, c'est gagner celle du village.
C'est lors d'un match de Hockey que cela va se produire, puis sur une partie de chasse aux caribous qui se terminera avinée, comme il se doit.
Guillaume se souvient de ces trois années dans cette terre sauvage, froide, âpre et authentique. Une leçon de vie venue du froid qui marquera à jamais l'existence de cet instituteur un peu maladroit, inexpérimenté.
Depuis, il est devenu père de famille et parfois il ressent le manque de cette vie, il pense aux ados, leurs rires, leurs gentilles moqueries et le sentiment d'abandon qu'a engendré son départ.
Avec les souvenirs, l'évocation naturaliste et poétique d'un monde en survie, se profile.
« Il a lui-même bûché une partie de la prucheraie pour y installer sa famille. Il a milité pour l'Action boréale, vu une dizaine de fois le documentaire Desjardins, planté des arbres dans le nord de l'Ontario pour payer ses études. Il sait exactement à quoi ressemble le silence d'une coupe à blanc. Et s'il donne une partie de sa paie à Greenpeace, il a sacrifié une pruche immense pour construire une maison.
Caroline lui répète qu'il s'en fait trop, qu'il ne doit pas être si dur envers lui-même. Rien à faire. Un jour, la banlieue sera dans sa cour. Et ce sera de la faute des familles comme la sienne. Des amoureux de la nature et des grands espaces. »
Un très joli premier roman à la langue poétique (et imagé, Quebec oblige) qui invite à la réflexion et à la rêverie.
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Un jeune professeur québécois prend l'avion pour prendre son nouveau poste, dans un coin nord du Québec, le Nunavik. Ces quelques heures de vol lui font se rendre compte de sa totale ignorance des gens parmi lesquels il va vivre et qui pourtant arpentent ces terres depuis des siècles, bien avant ses ancêtres à lui.
Kuujjuak se trouve sur les berges de la Koksoak, proche de la baie d'Ungava et de l'océan Arctique.
C'est un pays de froid, de vent, de glace, sans arbres ou presque.

L'enfer du nord n'est pas forcément le froid glacial. Ça peut être ce que vit Guillaume en débarquant. Un sentiment de décalage total. Que ce soit avec ce qu'il imaginait, ou rêvait, de la vie dans ces régions, une sorte de vision romantique et surannée ; ou avec les personnes, les Inuit, dont il ne sait rien de la culture ni de l'Histoire, et qui ne sont en rien figés dans un passé idéalisé ou dans un zoo. Ce qu'il découvre est loin de ses certitudes, de tout ce qu'il croit savoir, de ce qu'il n'a jamais appris. Son vertige est aussi inattendu qu'incommensurable.
Jusqu'au déclic qui prend la forme d'une crosse de hockey ; un monde s'ouvre, enfin. le sport se greffe dans le récit, les pages de matchs et d'après matchs sont ferventes, dures, animales.

Dans un récit parallèle on retrouve Guillaume quelques années plus tard, marié et père, vivant à proximité de la ville mais entouré, pour quelques temps encore, de bois et de forêts. Il se penche sur son passé et regarde sévèrement son présent, ce qu'il laisse derrière lui, et ce qu'il peut transmettre. Guillaume, qui est probablement d'après les pages lues deci-delà un double de l'auteur, a bien la tête dans son époque, mais son coeur est dans une autre, plus rude, plus proche de la nature.
Durant tout « Le territoire sauvage de l'âme », Jean-François Létourneau nous raconte, nous donne à voir et à sentir les oiseaux, les animaux, les paysages qu'ils soient de glace ou de bois, tente de lire les ciels selon les moments et les lieux, essaie plutôt bien que mal d'apprivoiser les gens autour de lui avec toujours un sens acéré du détail touchant ; on le sent adossé au nature writing du Rick Bass de « Winter » ou du « Journal des cinq saisons ».

Alors certes ce court roman n'a rien de révolutionnaire, ni dans le propos ni dans l'écriture, il manque peut-être de ceci ou de cela, mais J-F Létourneau nous parle, et le roman prend appui sur cette parole limpide, dense. La lecture du « Territoire sauvage de l'âme » est un vrai moment de plaisir, et je n'ai pas besoin de plus pour l'apprécier.
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Le roman s'ouvre avec le voyage en avion de Guillaume, jeune professeur de français, qui quitte le Sud du Québec pour le Nord. Il prend son premier poste à Kuujjuaq. Il y découvre une culture, un peuple, une autre vie. Les Inuit ont trois langues, l'inuktitut qui est leur langue maternelle, puis l'anglais pour pouvoir travailler et enfin, pour certains, le français. Guillaume doit d'abord réussir à comprendre les codes et les coutumes des Inuit pour pouvoir enseigner aux adolescents. Tout un apprentissage !
Le livre a deux temporalités, lorsqu'il est dans le passé, c'est-à-dire les 3 années d'enseignement à Kuujjuaq, le narrateur s'adresse à Guillaume en le tutoyant. Puis quand le texte bascule dans le présent, le narrateur parle de Guillaume à la troisième personne du singulier.
Pendant ces années passées dans le Nord, Guillaume fait la connaissance de Caroline, une autre enseignante, qui deviendra sa femme. Lorsqu'elle est enceinte, ils décident de rejoindre leurs familles dans le Sud et de s'y installer pour fonder leur foyer. Ils auront 3 enfants : Laure, Samuel et Marie-Claire.
On les retrouve donc 10 ans plus tard, une vie paisible faite d'histoires racontées à côté du poêle, de balades en forêts parmi les pruches et les épinettes, de camping dans la tente au fond du jardin. Ça sent bon la forêt ! Mais une menace plane, celle de la construction d'autoroutes et d'infrastructures qui démolissent les forêts. Guillaume est préoccupé par ces changements écologiques. Il est reconnaissant envers son père qui lui a transmis l'amour de la nature et l'a élevé en lui apprenant à pêcher, à vivre dans la forêt.
Le froid et la neige sont également très présents. Dans le Nord, Guillaume est initié à la chasse et part en week-end avec les autochtones. Il ne parle pas l'inuktitut et il n'y a pas de distraction sur place. Il réussit à s'intégrer à la communauté grâce au hockey. Il s'avère être un excellent joueur. le roman donne aussi une belle place à ce sport.
Le texte est parsemé d'expressions québécoises et de noms en inuktitut, qui ne gênent pas la lecture. Au contraire, ils participent au voyage dans une culture, un pays. L'écriture est poétique. Il y a parfois des lettres ou des extraits de son journal de bord.
Une belle lecture pour ma part et un très beau voyage dans ce « territoire sauvage de l'âme ».
Lien : https://joellebooks.fr/2023/..
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Bouleversant, c'est le premier mot qui me vient en refermant ce roman.

Puis je reviens en arrière et je relis certains passages pour ressentir à nouveau ces émotions que cette histoire portée par une plume éblouissante et poétique m'a apporté jusqu'aux larmes.

Jean-François Létourneau est Québécois, et c'est un réel plaisir en tout cas pour moi de lire cette langue quasiment égale à la nôtre mais avec un petit plus qui lui donne un charme fou.

Et cette histoire, que je vous présente vaguement comme à mon habitude, préférant vous laisser le plaisir de la découvrir est absolument déchirante et sous certains aspects assez drôle, car notre auteur ne manque pas d'humour pour dépeindre certaines situations.

Un roman qui laisse songeur car on découvre l'éternel recommencement d'un endroit à un autre, face à la destruction de la nature, à l'expropriation des terres, qui amènent des civilisations à disparaître au profit de l'urbanisme.

Un premier roman d'une puissance incroyable, qui nous transporte en terre inconnue pour nous offrir un spectacle éblouissant auprès des inuits à travers les souvenirs d'un homme qui ne les a jamais oublié et tente à sa manière de transmettre à ses enfants ce monde qu'il a si peur de voir disparaître.

Un voyage littéraire d'exception à ne pas rater.

Une plume que j'espère retrouver bientôt.
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C'est un roman en deux temps.
D'abord celui d'un "tu" s'adressant à Guillaume, enseignant fraichement diplômé qui part en poste dans un endroit d'où on ne peut sortir qu'en avion, un village où il ne connait personne, là-haut dans le Nord, pays mythique, enneigé, infini, et grand terrain de jeu pour les anthropologues, les biologistes et autres ethnologues.

C'est aussi la terre des Inuits. Pour Guillaume, un autre monde.

Les politiques de sédentarisation successives imposées à ce peuple initialement nomade l'ont fait échouer là, dans ce genre de village du bout du monde dont l'épicerie vend des Big Mac congelés, du lait et du jus d'orange à des prix exorbitants, denrées qui ont remplacé le gibier que les chiens de traineaux les aidaient à traquer jusque dans les années 1950, quand leurs bêtes furent abattus sous prétexte qu'elles étaient malades et menaçaient la sécurité des villageois (en réalité le meilleur moyen de forcer ces populations à l'immobilité). Les enfants du Nunavik sont scolarisés en inuktitut jusqu'en quatrième année de primaire, leurs parents devant ensuite choisir l'anglais ou le français. le taux de décrochage scolaire témoigne d'un système qui répond plus aux besoins du sud qu'à la réalité du Nord.

L'apprivoisement est progressif. Les élèves se moquent de Guillaume, de ses réflexes inadaptés de gars du sud. Lui est incapable de prononcer leurs noms de famille, a du mal à comprendre leur humour rigolard. C'est grâce au sport qu'il finit par trouver sa place dans la petite communauté. Ses talents de hockeyeur lui permettent d'intégrer l'équipe locale. En patinant avec les oncles, les pères, les cousins de ses élèves, il apprend les codes, se familiarise avec la langue, accompagne ses nouveaux concitoyens à la chasse au caribou. L'absentéisme scolaire diminue.

Au-delà des analyses psychologiques, anthropologiques, des cris d'alarme des travailleurs sociaux, des fantasmes romantiques de la littérature, Guillaume découvre l'esprit du nord dans le rire de ses élèves.

Mais si, avec le recul, cette expérience lui fera remettre en question le récit de ses propres origines -c'est-à-dire celui d'ancêtres qu'ils voient dorénavant davantage comme des colons brutaux que comme de fiers aventuriers-, il sait malgré tout qu'il lui manquera toujours quelque chose pour vraiment saisir ce que signifie vivre et surtout grandir dans le Nord.

Le second temps est celui d'un "il" qui nous fait retrouver Guillaume quelques années plus tard. Il est dorénavant marié, père de deux enfants. Il a pris "une sabbatique", pour prendre le temps justement, celui de raconter des histoires à ses enfants, comme l'a toujours fait son père, homme malcommode qui faisait son bois de chauffage et ne sortait jamais sans sa carabine, mais qui surtout racontait des tas d'histoires qui ont nourri et émerveillé son enfance. Ça coulait comme un poème, faisant surgir les images, naître des sensations…

Il leur parle de leurs grands-parents, de sa mère qu'il n'a pas connue, de l'amour de leur grand-père pour le bois, de ses anciens élèves de Kuujjuaq, de la beauté violente du froid extrême. Il le fait dans la tente de prospecteur qu'il a montée sur leur terrain où il a fait construire la maison familiale, dans les bois mais pas trop loin de la ville.

Dormir dans une tente avec ses enfants, les abreuver d'histoires qui disent en filigrane ce qui a été perdu avec la modernité, la vitesse et la frénésie consumériste… il a imaginé que c'était là l'ultime moyen de se reconnecter à la vie, à l'énergie sauvage des origines, quand on pistait les animaux, qu'on savait identifier le chant des oiseaux. Mais n'est-ce pas vain, quand on constate l'inéluctabilité du progrès de la destruction, les bois rasés et les étangs à grenouilles comblés au profit de nouvelles routes et de nouvelles habitations ? Et n'est-ce pas hypocrite, quand on se dit amoureux de la nature et des grands espaces, mais que l'on veut y vivre dans le confort, participant ainsi soi-même à l'étalement urbain ? Il sera en partie responsable de la perte que subiront ses enfants, et n'aura à opposer à leur tristesse et incompréhension que le silence du Nord et le souvenir de la tente sous la prucheraie*.

Un très beau texte, empreint d'une mélancolie et d'une poésie qui émanent spontanément de l'évocation à la fois enchantée et douloureuse de ce qui est en train de disparaitre.
Lien : https://bookin-ingannmic.blo..
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Guillaume, jeune professeur de français part enseigner dans le grand Nord : le Nunavik. Il va y découvrir la vie en pays Inuit, la solitude et se faire accepter petit à petit par le village. Différences de vies, de classes, de traditions... Guillaume va voir sa vision du monde et de la vie changer.

Dans un second point de vue l'auteur nous permet d'apercevoir l'empreinte laissée par cette expérience dans la vie de Guillaume des années plus tard et l'impact sur sa philosophie et ce qu'il souhaite transmettre à ses enfants.

Une belle histoire qui vous fera voyager à coup sûr !
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J'ai un peu peiné à me laisser happer par le récit. La narration qui passe d'un chapitre au « tu » à un autre au « il » pour le même personnage en fonction de l'espace temps était un peu déroutante et difficile à lire. Très souvent, on se sent Guillaume arrivant sur cette terre inconnue, on n'arrive pas non plus à prononcer les noms ou les lieux, et c'est vite lassant. Ils sont ainsi, donc comme lui on fait avec, en passant un peu outre.
J'ai une une impression globale de rester en surface, d'un récit tenu et froid, qui quelque part faisant écho aux paysages. Au fil de ma lecture, je l'ai néanmoins trouvé assez touchant, il m'a fait penser à un « amour masculin», brut… À un amour en failles, en non-dits, sans trop en dire. En fait, il colle bien à son titre, ce récit est un vrai « territoire sauvage de l'âme »
Il m'a beaucoup fait penser à « L'angélus du soir » de Bernard Clavel, tous deux empreints d'une nostalgie face à un autre temps inéluctable qui arrive et emporte tout un sur son passage. Avec leurs solitudes un peu bourrues mais attendrissantes. Avec leurs silences qui disent beaucoup.
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Je suis tombée sous le charme de ce roman à l'écriture poétique et authentique !
Guillaume, un jeune professeur, choisit de partir enseigner en terre Inuits à Kuujjuaq. Dès son arrivée, le dépaysement est total……
Situé sur les bords de la rivière Koksoak, Guillaume va découvrir toute une culture au sein du peuple Inuit, les matchs de hockey, la chasse aux caribous, le patinage, ses collègues, ses élèves, la motoneige….. et puis sa femme ! Lorsqu'elle tombe enceinte, c'est le coeur lourd mais rempli de souvenirs qu'ils rejoignent leurs familles dans le Sud. Ces trois années resteront gravées dans la mémoire de Guillaume. Roman sur deux périodes, avec la découverte de la terre inuit puis sa vie entourée de sa femme et ses enfants.
L'écologie et ses enjeux, la famille, les relations humaines, la transmission, la beauté de la nature, sa destruction, l'urbanisation..... l'auteur aborde très bien ces thèmes et nous pousse à la réflexion.
C'est authentique, beau, rempli de tendresse, j'ai pris beaucoup de plaisir à lire ce roman…….
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