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Citations sur La trêve (62)

Connaissaient-ils, eux, l'existence d'Auschwitz, le massacre quotidien et silencieux à leur porte ? Si oui, comment pouvaient-ils marcher dans la rue, revenir chez eux et regarder leurs enfants, franchir le seuil d'une église ? Si non, nous devions, je devais, c'était un devoir sacré, leur apprendre sur-le-champ, toute la vérité : je sentais le numéro tatoué sur mon bras crier comme une plaie.
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Cependant mon attention et celle de mes voisins de lit arrivaient rarement à se distraire de la présence obsédante, impérieuse et fatale du plus petit et du plus désarmé d'entre nous: le plus innocent, un enfant, Hurbinek.
Hurbinek n'était rien, c'était un enfant de la mort, un enfant d'Auschwitz.
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C'est pourquoi, pour nous aussi, l'heure de la liberté eut une résonance sérieuse et grave et emplit nos âmes à la fois de joie et d'un douloureux sentiment de pudeur grâce auquel nous aurions voulu laver nos consciences de la laideur qui y régnait ; et de peine, car nous sentions que rien ne pouvait arriver d'assez bon et d'assez pur pour effacer notre passé, que les marques de l'offense resteraient en nous pour toujours, dans le souvenir de ceux qui y avaient assisté, dans les lieux où cela s'était produit et dans les récits que nous en ferions. Car, et c'est là le terrible privilège de notre génération et de mon peuple, personne n'a jamais pu, mieux que nous, saisir le caractère indélébile de l'offense qui s'étend comme une épidémie. Il est absurde de penser que la justice humaine l'efface. C'est une source de mal inépuisable : elle brise l'âme et le corps de ses victimes, les anéantit et les rends abjects [...].
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La nostalgie est une souffrance fragile et douce, radicalement différente, car plus intime et plus humaine, des autres peines qui nous avaient été infligées : coups, faim, froid, terreur, dégradation, maladie. C'est une douleur limpide et pure mais lancinante : elle envahit chaque minute, ne laisse pas de place pour d'autres pensées et provoque un désir d'évasion. (p.171).
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Elles n'avaient pas de bagages: rien que les vêtements usés et déteints qu'elles portaient sur le dos. Leurs corps étaient jeunes, solides encore et sains, mais leurs visages étaient fermés et amers, leur regard fuyant: une humiliation et une résignation de bêtes, bouleversantes; aucune voix ne s'élevait de ces corps qui se dispersaient avec paresse lorsque les convois stationnaient. Personne ne les attendait, personne ne semblait s'apercevoir d'elles. Leur passivité fuyante, leur douloureux manque de pudeur étaient le fait d'animaux domestiqués et humiliés. Nous seuls assistions avec pitié et tristesse à leur passage, nouveau témoignage et nouvel aspect de la maladie pestilentielle qui avait accablé l'Europe.
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Nous avions subi le camp l'un et l'autre : je l'avais souffert comme un monstrueux bouleversement, une hideuse anomalie de mon histoire et de l'histoire du monde ; lui, comme une triste confirmation de choses connues. "La guerre est éternelle ", l'homme est un loup pour l'homme : vieille histoire. Il ne me parla jamais de ses deux années d'Auschwitz.
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Dans son for intérieur, Cesare ne s’était jamais résigné au fait que les Allemands parlent l’allemand, les Russes le russe, sinon qu’en raison d’une extravagante malignité ; il était en outre profondément persuadé que s’ils ne comprenaient pas l’italien c’était par un raffinement de cette même malignité. Malignité ou extrême, scandaleuse ignorance, barbarie ouverte. Il n’y avait pas d’autres possibilités.
C’est pour cela que sa perplexité allait rapidement tourner en rage. Il grommelait, jurait. Est-ce aussi difficile de comprendre ce que c’est qu’une poule, et que nous donnons six assiettes en échange ? Une poule, une de celles qui se promènent, béquetant, grattant, et faisant « coccodé » : et sans trop de confiance, torve, maussade, il s’exhiba dans une imitation très mauvaise des habitudes des poulets, se blottissant par terre, grattant avec un pied et ensuite avec l’autre, et béquetant çà et là avec la main en cuillère. Entre un juron et l’autre, il faisait aussi « coccodé ». Mais, on le sait, cette interprétation du vers des poulets est hautement conventionnelle ; elle circule exclusivement en Italie et n’a cours nulle part ailleurs.
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Nous avions l'impression d'avoir quelque chose à dire, des choses énormes à dire à chaque Allemand, et que chaque Allemand devait nous en dire ; nous sentions l'urgence de tirer des conclusions, de demander, d'expliquer et de commenter, comme des joueurs d'échecs en fin de partie. Connaissaient-ils, eux, l'existence d'Auschwitz, le massacre quotidien et silencieux à leur porte ? Si oui, comment pouvaient-ils marcher dans la rue, revenir chez eux et regarder leurs enfants, franchir le seuil d'une église ? Si non, nous devions, je devais, c'était un devoir sacré, leur apprendre, sur-le-champ, toute la vérité : je sentais le numéro tatoué sur mon bras crier comme une plaie.
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A l'infirmerie du camp de Buna-Monowitz, nous étions restés huit cents. Cinq cents environ moururent de maladie, de froid et de faim avant l'arrivée des Russes et deux cents autres, malgré les secours, les jours qui suivirent immédiatement.
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En pleine nuit, nous passâmes le Brenner, que nous avions traversé en partant pour l'exil vingt mois auparavant. Les moins éprouvés de mes camarades le franchirent dans une allégresse tumultueuse, Leonardo et moi dans un silence empli de souvenirs. Nous étions partis six cent cinquante, nous revenions trois.
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