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Citations sur La trêve (62)

Ce furent des mois d'oisiveté et de bien-être relatif donc pleins d'une nostalgie pénétrante. La nostalgie est une souffrance fragile et douce, radicalement différente, car plus intime et plus humaine, des autres peines qui nous avaient été infligées : coups, froid, faim, terreur, dégradation, maladie. C'est une douleur limpide et pure mais lancinante : elle envahit chaque minute, ne laisse pas de place pour d'autres pensées et provoque un désir d'évasion.
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J'avais tous les membres douloureux, le sang battait précipitamment dans mes artères et je sentais la fièvre monter. Mais ce n'était pas tout: comme si une digue s'était ouverte, juste au moment où toute menace semblait s'évanouir, où l'espoir d'un retour à la vie cessait d'être insencé, j'étais en proie à une douleur nouvelle, plus grande, enfouie d'abord aux frontières de la conscience sous d'autres douleurs plus urgentes: celle de l'exil, de la maison lointaine, de la solitude, des amis perdus, de la jeunesse enfuie et de la multitude de cadavres autour de moi.
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La conversation tomba à nouveau sur mes chaussures que chacun de nous, pour des raisons diverses, ne pouvait oublier. Il m’expliqua que c’était une faute grave que d’être sans chaussures. Quand il y a la guerre, il faut penser avant tout à deux choses : d’abord aux chaussures et ensuite à la nourriture ; et non l’inverse comme on le croit ordinairement : parce que celui qui a des chaussures peut partir en quête de nourriture mais pas le contraire. Mais la guerre est finie, objectai-je : et je la croyais finie, comme beaucoup pendant ces mois de trêve, dans un sens infiniment plus universel qu’on n’ose le penser aujourd’hui. « La guerre est éternelle », répondit mémorablement Mordo Nahum.
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Le Grec avait changé d’humeur : peut-être avait-il un nouvel accès de fièvre ou, après les affaires satisfaisantes du matin, se sentait-il en vacances. Il se sentait même en veine de bienveillance pédagogique ; au fur et à mesure que les heures passaient, le ton de ses paroles se tempérait peu à peu et parallèlement le rapport qui nous unissait ne cessait de se modifier : de maître-enclave à midi, nous étions titulaire-salarié à une heure, maître-disciple à deux heures et aîné-cadet à trois. (P.54)
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(...), pour nous aussi, l'heure de la liberté eut une résonance sérieuse et grave et emplit nos âmes à la fois de joie et d'un douloureux sentiment de pudeur grâce auquel nous aurions voulu laver nos consciences de la laideur qui y régnait; et de peine, car nous sentions que rien ne pouvait arriver d'assez bon et d'assez pur pour effacer notre passé, que les marques de l'offense resteraient en nous pour toujours, dans le souvenir de ceux qui y avaient assisté, dans les lieux où cela s'était produit et dans les récits que nous en ferions.Car, et c'est là le terrible privilège de notre génération et de mon peuple, personne n'a jamais pu, mieux que nous, saisir le caractère indélébile de l'offense qui s'étend comme une épidémie. Il est absurde de penser que la justice humaine l'efface. C'est une source de mal inépuisable : elle brise l'âme et le corps de ses victimes, les anéantit et les rend abjects; elle rejaillit avec infamie sur les oppresseurs, entretient la haine chez les survivants et prolifère de mille façons, contre la volonté de chacun, sous forme de lâcheté morale, de négation, de lassitude, de renoncement.
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En aucun autre pays d’Europe, je crois, il ne peut arriver de marcher pendant dix heures et de se trouver toujours à la même place, comme dans un cauchemar ; d’avoir toujours devant soi la route toute droite jusqu’à l’horizon, à ses côtés la steppe et la forêt, et derrière soi la route jusqu’à l’horizon opposé, comme le sillage d’un navire ; et pas un village, pas une maison, pas une fumée, pas une borne pour signaler qu’on a tout de même gagné un peu de terrain, pas âme qui vive si ce n’est quelques corneilles ou quelques faucons dérivant paresseusement dans le vent.
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Tous les codes moraux sont rigides par définition : ils n’admettent ni nuances, ni compromissions, ni contaminations réciproques. Ils sont acceptés ou rejetés en bloc. C’est là une des principales raisons pour laquelle l’homme est grégaire et recherche plus ou moins consciemment à se rapprocher non pas de son prochain en général mais seulement de ceux qui partagent ses convictions profondes… Chacun sait combien il est malaisé d’avoir des rapports d’affaires, bien plus, de cohabiter avec un adversaire idéologique.
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Parmi les choses que j’avais apprises à Auschwitz, une des plus importante était qu’il fallait toujours éviter de paraître « n’importe qui ». Tous les chemins sont fermés à qui semble inutile, tous sont ouverts à qui exerce une activité, voire la plus insignifiante.
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Le train franchit la Bérésina à la fin du second jour de voyage, alors que le soleil, rouge comme un grenat, déclinait parmi les troncs avec une lenteur magique et revêtait d'une lumière sanglante les eaux, les bois et la plaine épique, parsemée encore de débris d'armes.
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C'est pourquoi, pour nous aussi, l'heure de la liberté eut une résonance sérieuse et grave et emplit nos âmes à la fois de joie et d'un douloureux sentiment de pudeur grâce auquel nous aurions voulu laver nos consciences de la laideur qui y régnait ; et de peine, car nous sentions que rien ne pouvait arriver d'assez bon et d'assez pur pour effacer notre passé, que les marques de l'offense resteraient en nous pour toujours, dans le souvenir de ceux qui y avaient assisté, dans les lieux où cela s'était produit et dans les récits que nous en ferions. Car, et c'est là le terrible privilège de notre génération et de mon peuple, personne n'a jamais pu, mieux que nous, saisir le caractère indélébile de l'offense qui s'étend comme une épidémie. Il est absurde de penser que la justice humaine l'efface. C'est une source de mal inépuisable : elle brise l'âme et le corps de ses victimes, les anéantit et les rend abjects ; elle rejaillit avec infamie sur les oppresseurs, entretient la haine chez les survivants et prolifère de mille façons, contre la volonté de chacun, sous forme de lâcheté morale, de négation, de lassitude, de renoncement.
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