Les Bienveillantes /
Jonathan LITTELL
Difficile de faire une critique de ce roman. Difficile même de dire que c'est un roman.
Dire que c'est de la littérature ? Je n'en suis pas sûre.
Dire que ça m'a plu ? Je ne sais pas.
Dire que c'est une lecture ardue, complexe, est assez faible, à tous points de vue.
Ce dont on est sûr, c'est que c'est un pavé de quasiment 1400 pages, et qu'après une 1ère centaine de pages, au vu de la difficulté de lecture, j'ai décidé de le vivre comme un défi personnel, et de ne surtout pas lâcher malgré la forte tentation de le faire à plusieurs reprises. Défi relevé, mais voilà bien un livre que je vais avoir du mal à partager. Mais beaucoup de choses à dire malgré tout.
C'est un roman à plusieurs niveaux, et je ne suis pas sûre d'être suffisamment armée intellectuellement pour apprécier pleinement tous ces niveaux de lecture. Je tente malgré tout d'en faire un résumé très personnel des sentiments que ce roman m'a procurés.
L'histoire se situe pendant la Seconde Guerre Mondiale (il y a quelques allers-retours dans le temps, mais très peu), vue du côté allemand. On a souvent vu, lu, entendu beaucoup de choses sur la Shoah, et sur les horreurs qui se sont déroulées pendant cette période. Mais il y a là davantage, en particulier le point de vue du narrateur, et tout un très long 1er chapitre très détaillé sur le front de guerre allemand en Russie, en Ukraine, l'embourbement, les massacres perpétrés, et la bataille de Stalingrad.
Le narrateur du roman, Maximilian Aue, est allemand. C'est un haut-gradé SS, donc nazi. Il serait exagéré de dire qu'il est un « héros » : peu sympathique, très détaché, il est impossible de s'attacher à lui. On ne sait pas grand-chose de lui, mis à part qu'il est homosexuel, qu'il aime sa soeur d'un amour incestueux, et qu'il est un nazi persuadé de la toute-puissance de l'Allemagne. S'il montre, de temps en temps, un peu d'humanité en faisant savoir qu'il n'est pas d'accord avec les conditions infligées et le sort donné aux prisonniers dans les camps, il n'en reste pas moins convaincu par la doctrine nationale-socialiste d'Hitler.
Sa narration est comme un compte-rendu indifférent, totalement désaffecté, impassible, même lorsqu'il décrit des massacres, les camps de concentration, etc. Ça en fait une lecture très déroutante.
On en apprend un peu plus sur ses sentiments dans les 2 dernières parties du livre, mais il faut avoir déjà lu quasiment 1000 pages.
Mais même lorsqu'on en apprend un peu plus sur lui, Maximilian Aue est un personnage tellement autocentré, antipathique, voire même psychotique qu'on ne peut ressentir aucune affection, aucun attachement envers lui.
Je pense que ce roman m'a fortement perturbée par ce détachement, cette insensibilité constante de Maximilian Aue, comme un témoin, un observateur loin de la tourmente sauf lorsqu'il est directement concerné. L'idéologie nazie y est pourtant omniprésente, les crimes perpétrés au nom de cette idéologie y sont décrits dans toutes les pages du roman, mais comme il écrit ses rapports et comptes-rendus à sa hiérarchie nazie, il écrit son histoire, il décrit l'Histoire, sans aucun sentiment, sans affect. L'horreur dont il est témoin le rend néanmoins souvent malade, physiquement, et les descriptions de ses maladies sont tellement pénibles à lire que ça le rend encore moins sympathique.
Les seuls sentiments qu'on peut lui attribuer sont ceux de son amour incestueux porté sa soeur, et de la haine qu'il voue à sa mère. du coup, là encore, ce sont des sentiments dont on a du mal à être solidaire, et qu'on a du mal à partager avec un « héros » de roman.
Peut-être Jonathan Littell a-t-il justement voulu en faire seulement un narrateur qui se situe très loin de l'horreur, pour ne justement pas sombrer lui-même et nous avec dans cette folie ?
C'est cependant un roman très documenté, très détaillé, comme un livre d'histoire, dans lequel il y intègre des personnages de fiction.
Un bon roman, c'est des émotions. Or là, je n'ai pas vibré, pas du tout même. C'est aussi pour moi, et c'est très personnel, des personnages auxquels on s'attache, pas forcément parfaits, ni extraordinaires, mais qui ont une personnalité (qu'elle soit attachante, ou non, et même si on ne partage pas leurs choix, leur façon de vivre). Or ici ce n'est pas du tout le cas non plus pour toutes les raisons énoncées plus haut.
Un bon roman c'est une histoire qu'on n'a pas envie de finir, qu'on a envie de garder en soi longtemps. Mais là, j'avais vraiment besoin de passer à autre chose, de me détacher de cette histoire.
Un bon roman c'est aussi le style.
Jonathan Littell écrit très bien, mais c'est une écriture tellement détachée de tout sentiment qu'elle ne m'a pas du tout faite vibrer.
Donc je ne peux pas dire que
Les Bienveillantes est un bon roman pour moi. C'est un point de vue très subjectif, très personnel. Je suis sûrement passée à côté.
Et curieusement, je pense que c'est une lecture que je n'oublierai pas de sitôt, comme une parenthèse étrange, un moment de lecture à part. Ce roman est inhabituel. Et si je lui donne une note « moyenne » aujourd'hui, c'est parce que je ne sais pas quoi mettre, parce qu'il est inclassable.