AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
Citations sur La splendeur du Portugal (11)

(je me souviens de l'odeur des azalées piétinés, du tabac bon marché et de celle plus lointaine d'argile et de racines croupies, du parfum de la Française sur le pull-over de mon père lorsqu'il revenait en sifflant du couvent et de ma mère m'embrassant à me faire pleurer
- Je prends le gosse et je m'en vais Eduardo je te jure que je prends le gosse et jamais tu ne nous reverras
un parfum acide et sucré et chaud qui perturbait les oeillets dans leur vase)
Commenter  J’apprécie          110
Notre malheur
expliquait mon père
c'était d'être nés dans la vieillesse de Dieu comme d'autres naissent dans la vieillesse de leurs parents, d'être nés avec un Dieu déjà trop vieux, égoïste et fatigué pour se soucier de nous, n'écoutant plus que ses propres organes avec une attention fébrile, l'automne de son estomac, les élégies de son foie, l'oignon ou le chrysanthème de larmes concentriques de son cœur, un Dieu tombé dans l'oubli de lui-même et qui nous considère de son fauteuil de malade avec une stupeur farouche. 
(Christian Bourgois Editeur - page 342)
Commenter  J’apprécie          80
( …) non pas des bandes de sauvages ivres, non pas des groupes organisés par les communistes russes ou hongrois ou roumains ou yougoslaves ou bulgares, non pas une ligue, un mouvement, un parti qui aurait voulu diriger l'Angola, décider de l'Angola, nous remplacer dans les compagnies, dans les administrations, dans les bureaux, s'emparer de nos maisons et de nos plantations, nous entasser sur les quais les bras chargés de bric-à-brac sans valeur, nous expulser, par haine ou vengeance
(pourquoi Dieu du ciel, de la vengeance pourquoi?)
ou impuissance et révolte, mais seulement un gosse bailundo de huit ou neuf ans avec son sac de haricots sous le bras, seulement un gosse à la tignasse décolorée tapi dans la brousse comme un blaireau, comme une portée de belettes, un hérisson, rien qu'un gosse sous le fusil d'un caporal, mon père le mouchoir sur le visage
Non
me confirmant que l'Angola pour moi c'était fini, pas seulement Baixa do Cassanje, pas seulement notre coton, notre riz, notre maïs, mais l'Angola, l'Angola entier.
Commenter  J’apprécie          70
(…) puisque notre malheur
expliquait mon père
C’est d’être né dans la vieillesse de Dieu comme d’autres naissent dans la vieillesse de leurs parents, d’être nés avec un Dieu déjà trop vieux, égoïste et fatigué pour se soucier de nous, n’écoutant plus que ses propres organes avec une attention fébrile, l’automne de son estomac, les élégies de son foie, l’oignon ou le chrysanthème de larmes concentriques de son cœur, un Dieu tombé dans l’oubli de lui-même et qui nous considère de son fauteuil avec une stupeur farouche
expliquait mon père
tout comme les cubains dans la forêt qui séparait Dala de Marimbanguengo, lorsqu’ils tombaient sur les mercenaires de l’Unita ou les pelotons de Katangais dont on ne savait pas au juste pour qui ou contre qui ou pour quelle raison ils se battaient de la même façon qu’on ne savait pas qui les commandait et les payait, ils s’exprimaient dans une langue qui était une sorte de français aboyé, avançaient parmi les broussailles dans une anarchie féroce qui consternait les corbeaux, empalaient ceux qui leur barraient le chemin sur la pointe des huttes, je me souviens de la reine de Dala embrochait avec ses enfants sur le mât du drapeau que les Portugais avaient laisséà l’entrée du bourg, du pilote sud-africain planté sur une hélice enfoncée dans le sol, une guerre où ce n’était pas les vivants mais les morts qui combattaient en se terrassant les uns les autres à coup d’odeurs nauséabondes et molles (…)
Commenter  J’apprécie          60
Parfois la nuit les trains me réveillent. Ce ne sont pas mes copains avec leurs crises, ce n'est pas le môme qu'on a ligoté au lit après le dîner et qui demande de l'eau à grands cris, ce n'est pas l'employée qui trotte de chambre en chambre et se penche sur les oreillers
- Tâche de rester en vie sinon le patron va me virer
jusqu'à ce que sa mise en garde ramène le calme, ce ne sont pas les Capverdiens du bidonville d'ivrognes sur la place du café, ce sont les trains qui me réveillent.
Commenter  J’apprécie          50
J'ai compris que la maison était morte quand les morts ont commencé à mourir. (…)
Le vrai cœur de la maison c'étaient les herbes sur les tombes à la fin du jour ou au seuil de la nuit, disant des mots que je comprenais mal par peur de les comprendre, non le vent, non les feuilles, des voix racontant une histoire insensée pleine de gens et de bêtes et de meurtres et de guerres comme si elles chuchotaient sans relâche nos fautes, nous accusaient, répétaient de grossiers mensonges, que ma famille et la famille avant la mienne étaient arrivées comme des voleurs et avaient détruit l'Afrique, mon père recommandait
- N'écoute pas. 
(Page 101)
Commenter  J’apprécie          50
L'herbe des tombes racontait une histoire très ancienne de gens et de bêtes et d'assassinats et de guerre que je ne comprenais pas par peur de la comprendre, chuchotant sans relâche nos fautes, nous accusant
quelle injustice
d'être venus comme des voleurs y compris les missionnaires, les cultivateurs, les infirmiers qui soignaient la lèpre, l'herbe des tombes qui répétait des mensonges que mon père recommandait en me bouchant les oreilles
- N'écoute pas. 
Commenter  J’apprécie          40
J'ai compris que les morts avaient commencé à mourir et la maison avec eux, le squelette de la maison aux os duquel pendent les morceaux de cartilage des portières et des tableaux, le squelette de la maison sans personne excepté moi, les servantes et la plante grimpante de la véranda en train de nous ensevelir sous un linceul d'insectes. C'est sûrement pour ça que Damiao est parti : en me réveillant ce matin il ne portait ni gants ni veston ni boutons dorés : il était là sans chaussures, sans brillantine, avec une chemise de mon mari que je lui avais donnée voilà des lustres à condition qu'il ne la porte pas devant moi, il était devenu comme les soldats du gouvernement qui occupent à cette heure le village et qui, en attendant les guérilleros de l'Unita ou les Sud-Africains ou les mercenaires, poursuivent les porcelets que les Cubains ont oublié d'emporter lorsqu'ils s'enfuyaient vers ce qu'ils croyaient être la direction de Luanda et n'était autre qu'un guet-apens au premier ou au deuxième détour de la piste, l'armée du gouvernement avec un indigène cabinda en espadrilles et lunettes noires qui se disait sous-lieutenant montant l'escalier de la porte principale, frappant, exigeant mon lit pour lui et le reste de la maison pour ses soldats abrutis de marijuana qui tenaient leur bazooka à l'envers et plantaient du manioc dans mes mares de riz. 
Commenter  J’apprécie          40
- Appelez la police mademoiselle Graciete c'est un fou
moi je fouillais la boutique en quête d'autres crapauds, d'autres ours, d'autres canards, d'autres girafes, d'autres bestioles sans vergogne ni éducation ne demandant qu'à m'énerver, j'écrasais des pistolets à pétards, je fracassais des étagères de petits services à thé et de cuisines miniatures, en étranglant au passage des pandas qui clignaient des vagissements mécaniques
- My name is Jimmy
avec leur bouche stupide
- My name is Jimmy
Commenter  J’apprécie          30
Durant maintes années s'il m'arrivait de me réveiller avant les autres je pensais que le battement de l'horloge murale dans le salon était le cœur de la maison, et je restais des heures et des heures les yeux ouverts sans bouger dans le noir à l'entendre vivre avec la certitude qu'aussi longtemps que le balancier danserait d'un bord à l'autre
systole diastole, systole diastole, systole diastole
aucun de nous ne mourrait.
(page 83 Christian Bourgois Editeur)
Commenter  J’apprécie          30






    Lecteurs (236) Voir plus




    {* *}