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Violante do Canto (Traducteur)Yves Coleman (Traducteur)
EAN : 9782020348966
206 pages
Seuil (30/11/-1)
4/5   37 notes
Résumé :
A Lisbonne, au fil d'une journée de naufrage et de révolte morale, un jeune psychiatre exorcise ses démons: la blessure d'un amour trop intense pour ne pas être sans espoir, la hantise de ses souvenirs de guerre en Angola, sa conscience exacerbée de mener une existence vide et de servir une institution dont il condamne le rationalisme forcené. A travers cette confession d'un homme en quête de lui-même, - et pour écriture, retrouvant sa vertu rédemptrice, devient moy... >Voir plus
Critiques, Analyses et Avis (3) Ajouter une critique
Arrivé enfin à approcher avec sérénité l'oeuvre de cet auteur phare de la littérature portugaise contemporaine, considéré à ce jour, et très unanimement semblerait-il (surtout depuis la disparition du nobélisé José Saramago), comme le plus grand écrivain vivant de langue portugaise ! Absolument ravi d'y avoir finalement réussi, mes tentatives de lire Antonio Lobo Antunes ayant à vrai dire, jusqu'à présent, toutes fait long feu...Ce, essentiellement, je crois, en raison même de mes deux «patries» linguistiques, enfin je m'entends...Je m'explique : étant bilingue français-portugais, je lis d'habitude des auteurs lusophones, qu'ils soient brésiliens (comme moi) ou portugais (ou bien originaires d'autres contrées lusophones : mozambicains, cap-verdiens...) en VO. Il m'est tout naturellement et totalement inenvisageable d'approcher des oeuvres de langue portugaise dans leur traduction française (soit dit au passage, dans l'autre sens non plus : cela me paraîtrait personnellement tout aussi farfelu de me mettre, par exemple, à lire Proust ou Flaubert en portugais!!!).
Bref, pour revenir à Lobo Antunes, la préciosité de sa langue, traversée en même temps par une grande liberté de ton et de création, par une intertextualité subtile, la plupart du temps sous-entendue de manière assez elliptique, sa richesse enfin, syntaxique et sémantique, s'appuyant sur différents niveaux de langage (littéraire, familier, argotique, vieux portugais..) m'ont souvent laissé, au bout d'une cinquantaine de pages de lecture, avec le sentiment de m'être totalement égaré, découragé au bord d'un immense Tage de papier, impénétrable, à perte de vue, à l'embouchure trop vaste pour ma petite embarcation de fortune. Et c'est ainsi qu'à chaque tentative, las et frustré, finissais-je invariablement par abandonner. Comment ai-je réussi cette fois-ci ?, vous demandez-vous peut-être à ce stade... Eh bien, par une sorte de ruse vis-à-vis de moi-même qui m'est venue spontanément à l'esprit, lorsque je réalisai, tout à fait par hasard, que dans la médiathèque que je fréquente habituellement, il se trouvait un roman de Lobo Antunes, son tout premier de surcroît, «Memória de Elefante», dans la section «oeuvres en langue étrangère», et sa traduction française, «Mémoire d'Eléphant», dans celle des «romans» tout court. Sans trop me poser de questions, je les ai empruntées toutes les deux. J'ai pu ainsi lire «Memória de Elefante» en portugais, jusqu'au bout, en me faisant aider, au besoin, de mon exemplaire de «Mémoire d'Eléphant» en français ! Et cela a marché parfaitement ! Tant et si bien qu'au fur et à mesure, j'ai quasiment abandonné toute consultation de la traduction française (sauf pour ce qui est de ses très pertinentes notes de bas de page autour des nombreuses références évoquées par l'auteur, littéraires, artistiques, historiques, entre autres, inexistantes dans l'édition originale).
[ Plus incroyable encore, je viens de me procurer en librairie un exemplaire en portugais d'un autre de ses livres, «Os Cus de Judas» ; l'y ayant consulté au préalable, j'eus le sentiment ô combien agréable et sur le champ euphorisant d'arriver à lire Antonio Lobo Antunes dans l'original et sans trop de difficultés ! (Ou, dans tous les cas, avec une difficulté raisonnable, normale et négociable pour un lecteur de langue portugaise «brésilienne» comme moi, car bien que la langue soit la même dans tous les pays lusophones, il y a bien sûr de grandes diversités de vocabulaires et de «parlers», d'expressions et de façons-de-dire-les-choses d'un pays à l'autre -surtout entre le Brésil et le Portugal-, par conséquent, plus cette langue sera «travaillée», plus elle sera nuancée, enrichie par, ou ancrée dans une culture locale, moins aisée et immédiate deviendra sa compréhension pour un locuteur originaire d'un autre pays lusophone). Pour clore cette drôle d'affaire, sachez tout de même que j'ai fini par conclure que j'avais développé une forme de blocage par rapport à Antonio Lobo Antunes et que, grâce à cette psychobibliothérapie (tout à fait «sauvage» par ailleurs), je réussis, alléluia, à le lever! ]
«Memória de Elefante» raconte le déroulement d'une journée d'un psychiatre lisboète. Tout comme Antonio Lobo Nunes lui-même, ce dernier ayant exercé en tant que médecin psychiatre avant de se consacrer exclusivement à l'écriture, à partir du milieu des années 80. le personnage central du livre et son entourage proche (membres de sa famille, collègues de travail et amis) n'y sont d'ailleurs jamais nommés explicitement, seulement certains personnages accessoires y ont droit. Quant au narrateur principal, il se voit usurper sa voix par un «je» se substituant régulièrement, de manière subreptice, à la troisième personne de narration censée tenir officiellement le fil de l'histoire, ce qui contribue à donner au récit une certaine tonalité confessionnelle. Si l'auteur cherche d'une part à s'abstenir de toute tentative d'échafauder un récit de type autofictionnel, le personnage central de «Memória de Elefante» semblerait néanmoins largement inspiré de celui du Lobo Antunes, trentenaire lui aussi à cette même époque. Outre l'âge, les origines sociales et la profession médicale, tous les deux se sentent probablement rapprochés par l'énorme impact psychologique provoqué par les atrocités dont ils ont été témoins pendant la guerre d'Angola, ils sont pareillement en train de traverser une rupture récente, vécue sûrement, en tout cas dans la fiction par le supposé double de Lobo Antunes, de manière très douloureuse, confuse et lancinante, à la fois ambivalente sur le fond, en tant qu'homme et amant, vis-à-vis de son ex-femme, empreinte par ailleurs d'une immense culpabilité en tant que jeune père de deux adorables petites filles qui lui manquent tout aussi terriblement. Serait-ce alors pour indiquer cette filiation littéraire qu'il cherche d'autre part à mettre à distance, que Lobo Antunes aurait cité, en exergue, cette phrase extraite d'«Alice à travers le miroir», de Lewis Carroll : «As large life and twice as natural » ? («Plus grand que nature, et deux fois plus naturel»)
L'homme traversera de la sorte une journée entière d'un quelconque vendredi. Nous le suivrons pas à pas dans ce qui va se déployer en fin de compte en un flux-de-conscience quasi ininterrompu, depuis le matin à l'hôpital psychiatrique où il travaille, puis en déjeuner avec un ami, dans les rues de Lisbonne ou bien chez le dentiste, au bar en fin de journée, et jusqu'à très tard, le soir au casino, à la recherche d'une compagnie féminine de passage, notre psychiatre traînant partout où il passe un état constant de rage subjective et d'arrachement fantomatique, essayant par tous les moyens possibles de faire face à une sensation croissante de vide et de déréliction qui l'assaille, et notamment à l'aide d'un regard sarcastique et désabusé posé sur lui-même et sur autrui, contrant avec force application ses affects profonds et douloureux, sa solitude devenue intolérable, les souvenirs qui l'obsèdent, par le truchement privilégié d'un cynisme en état d'alerte, froid et détaché.
Idiosyncrasies mises à part, ainsi que toutes ces chimères psycholinguistiques personnelles ayant peut-être diriez-vous, occupé trop de place dans ce billet (je vous prie, le cas échéant, de m'en excuser), et m'ayant conduit, hélas (comme dans toute bonne symptomatologie névrotique digne de ce nom), à me priver trop longtemps du plaisir de rentrer véritablement dans l'oeuvre de cet écrivain génial, je me permettrai (pour une fois) de conseiller très vivement aux lecteurs désireux de découvrir cet auteur hyperdoué, doté d'un style unique, parfois réputé «difficile», voire trop «tarabiscoté», de démarrer par ce livre, « Mémoire d'Eléphant », de commencer, comme on dit, par le début, par ce tout premier roman, publié en 1979, aussi premier tome d'une trilogie en lien avec son expérience et ses souvenirs personnels de la guerre d'Angola.
A la fois cérébral et incisif, baroque et féérique, il faut savoir qu'avec Lobo Antunes le lecteur aura souvent l'impression de passer sans transition du chaud au froid, ou vice-versa, au risque de se voir ponctuellement atteindre par de véritables chocs thermo-esthétiques, pendant lesquels, obnubilé par autant de virtuose créative, par une telle succession et accumulation d'images, de figures de langage et de phrases d'une beauté inusitée et potentiellement explosive, il sera susceptible d'oublier momentanément de quoi, au fond, tout cela retournait au départ (un peu à l'image -pardonnez-moi la comparaison ! - de ces clips publicitaires tellement bien tournés visuellement, qu'on finit par ne plus retenir le nom de la marque qu'ils étaient supposés véhiculer !), et devant alors s'astreindre à une petite pause, afin de se ressaisir et pouvoir reprendre le fil de la narration.
Par la force des choses, ayant eu donc ici l'occasion de confronter l'original à la traduction française de ce roman, j'aimerais enfin saluer au passage le travail de Violante do Canto et Yves Coleman. J'ose imaginer, et en tout cas je respecte l'effort colossal que cela doit représenter de se lancer en de telles entreprises de traduction! Si je me permettais néanmoins d'ajouter un tout petit bémol à cette dernière, ce serait justement par rapport à un souci manifeste et un tantinet trop marqué, à mon humble avis, de littéralité, par rapport à l'original, ce qui en soi me paraît louable mais se fait malheureusement souvent au détriment de l'éclat et de l'esprit de la langue, qu'une grande traduction se doit, à mon modeste niveau d'opinion, d'essayer de restituer, évitant tant que faire se peut de sacrifier ces derniers à l'injonction de respecter une fidélité absolument stricte vis-à-vis du texte d'origine.
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« Mémoire D éléphant » Antonio Lobo Antunes (206p, Points)
Quelle écriture, quelle langue ! Ce premier roman, visiblement assez autobiographique par bien des aspects, narre une journée banale, une journée de perdition comme tant d'autres pour ce psychiatre lisboète, quelques années après la révolution des oeillets de 1974 et la fin de la dictature salazariste. Il s'est séparé de sa femme qu'il aime, de ses enfants qui lui manquent tant, la solitude l'assaille, les souvenirs de ses années de service militaire en Angola l'étouffent, le regard qu'il porte sur son monde est aussi lucide que désespérant. C'est une charge en règle contre l'absurdité du régime psychiatrique, de la colonisation et de ses horreurs, de la morale bourgeoise si hypocrite. Livre sur des sujets noirs, mais écrit dans une plume loufoque, voire délirante, aux connotations parfois surréalistes. Les images qu'il utilise sont très parlantes, très visuelles. On a quelquefois du mal à suivre les très nombreuses digressions du narrateur, à comprendre ce qui fait passer l'auteur dans son récit du « je » au parfum autobiographique au « il » plus distancié pour parler du même médecin psychiatre. Mais c'est aussi léger que dense, ça donne le tournis, et ça encourage aussi vraiment à découvrir mieux ce grand auteur portugais …
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Magifique et envoûtant. Vertigineux de lucidité cruelle, tellement, qu'elle en devient vivifiante.
Livre sensible malgré les mots, métaphores et allégories vengeresses.
Il faut avoir beaucoup souffert et finalement ne pas avoir totalement fini de grandir pour ne vouloir jamais accepter l'indicible de l'horreur, de la guerre.
A lire avec cependant une attention soutenue pour ne pas en perdre une miette et le fil.
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Citations et extraits (5) Ajouter une citation
L’image de sa femme, l’attendant parmi les manguiers de Marimba remplis de chauve-souris guettant le crépuscule, lui apparut dans une rafale de nostalgie violemment physique comme un viscère qui éclate. Je t’aime tellement que je ne sais pas t’aimer, j’aime tellement ton corps et ce qui en toi n’est pas ton corps que je ne comprends pas pourquoi nous nous sommes perdus si à chaque pas je te rencontre, si chaque fois que je t’ai embrassée j’ai embrassé plus que la chair dont tu es faite, si notre mariage est mort de jeunesse comme d’autres meurent de vieillesse, si après toi ma solitude s’emplit de ton odeur, de l’enthousiasme de tes projets et de la rondeur de tes fesses, si je suffoque d’une tendresse que je ne réussis pas à exprimer, ici en ce moment, mon amour, je te dis adieu et je t’appelle en sachant que tu ne viendras pas et en désirant que tu viennes de la même façon que, comme dit Molero, un aveugle attend les yeux qu’il a commandés par la poste.
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Et pourquoi sais-je seulement aimer, se demanda-t-il en examinant les bulles de gaz collées à la paroi de verre, pourquoi sais-je seulement dire je t’aime au moyen de la bimbeloterie des périphrases et de métaphores et d’images, en ayant le souci d’embellir, de mettre des franges de crochets aux sentiments, d’exprimer l’exaltation et l’angoisse par la cadence minable du fado mineur, l’âme qui se dandine, mièvre, à la façon d’un Correia de Oliveira portant une veste en mouton, puisque tout cela est propre, clair, direct, sans nécessité de fioritures, dépouillé comme un Giacometti dans une salle vide et aussi simplement éloquent que lui : les mots déposés au pied d’une statue équivalent aux fleurs inutiles qu’on offre aux morts ou à la danse de la pluie autour d’un puits plein.
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… , et le remords de s’être esquivé un soir, la valise à la main, en descendant l’escalier de la maison où il avait habité durant si longtemps, prenant conscience, marche après marche, qu’il abandonnait beaucoup plus qu’une femme, deux enfants et un réseau compliqué de sentiments tempétueux mais agréables, patiemment mis de côté.…
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Les yeux désolés de sa femme le poursuivaient jusqu’au bas de l’escalier; ils s’éloignaient l’un de l’autre comme ils s’étaient rapprochés, treize ans auparavant, au cours de l’un de ces mois d’août balnéaires faits d’aspirations confuses et de baisers inquiets, dans la même ardeur tourbillonnante d’un reflux de marée.
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la solitude possède le goût rance de l'alcool bu au goulot, sans amis, appuyé sur le zinc de l'évier
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