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Critique de Arimbo


Arimbo
02 décembre 2023
Je fais un bien curieux parcours depuis que je lis les romans d'Antonio Lobo Antunes.
Alors que j'avais été ébloui par le premier lu, le manuel des Inquisiteurs, le second, Mon nom est légion, après un début de lecture enthousiaste, m'est quasiment tombé des mains, j'étais perdu, je n'arrivais pas à me retrouver dans les méandres multiples et incompréhensibles de ce texte.
Et puis, avec celui-ci, le retour des caravelles, je suis à nouveau émerveillé par ce qui n'est pas un récit, mais une série de monologues traduisant les méandres des errements et des pensées de différents personnages.

Et dans une écriture d'une inventivité inouïe. Je l'avais déjà ressentie comme telle dans le manuel des Inquisiteurs, mais ici, c'est époustouflant, virtuose. Ça m'a fait penser à ces génies de la musique, notamment dans le jazz, qui, lorsque vous écoutez leurs oeuvres, ne font que vous surprendre, à vous faire dire « comment a-t-il fait pour trouver cela? ». Et c'est la même chose pour moi avec ces grands poètes, Rimbaud, Char, Jaccottet,et bien d'autres.
D'ailleurs c'est un texte qui est d'autant plus beau qu'on le lit à haute voix, une beauté flamboyante, baroque, pleine de fantaisie et de dérision cruelle, des phrases si évocatrices d'images prodigieuses que l'on n'oublie pas.
Et puis, il y a ce mode de narration vecteur d'instabilité, phrases longues, digressions multiples, passages instantanés du il au je, « voyages » du temps présent au passé (on se transporte d'abord en caravelle puis en avion), simultanéité de différents lieux.

Mais ne croyez pas qu'il s'agit d'un exercice de style, aussi brillant soit-il.
Le choix d'une série de monologues de personnages dans un état de déchéance totale, mais affublés pour beaucoup de noms prestigieux du passé, navigateurs tels Vasco de Gama ou Pedro Alvarez Cabral, Saint François Xavier, etc…qui font des rencontres parfois improbables avec un Garcia Lorca, un Errol Flynn ou un Luis Bunuel, le choix aussi d'une parole furieuse ou sarcastique, c'est fait, on le comprend vite, pour désacraliser, jeter à terre les « statues » d'un Portugal vivant dans le mythe de sa grandeur passée, de son empire colonial, mais dont la réalité, suite, entre autres, à la perte de ses colonies dont la principale, l'Angola au début des années 1960, est qu'il vit dans la misère, la corruption, le déclassement.
A cet égard, je trouve que l'ambiguïté générée par tous ces personnages glorieux du passé qui traversent les siècles, deviennent des pauvres hères, voire des proxénètes, sont décrépits et quasi moribonds, est une idée absolument géniale. Aussi, l'attente improbable du retour du jeune roi disparu Sébastien, comme l'attente d'un Messie, d'un Sauveur, qui clôt le livre, est pitoyable et grotesque.

En conclusion, un récit d'une extraordinaire beauté poétique, un roman baroque et flamboyant, que j'ai ressenti comme l'allégorie de la déchéance inavouée du Portugal.
Dans ce contexte, je lirais bien le cul de Judas du même auteur. Qu'en pensez-vous?
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