La Moïra, tome 1 : La louve et l'enfant

La mémoire est l'arme la plus redoutable de l'intelligence.p162

- Vous n'aimez pas les chrétiens et leur université n'est-ce pas? glissa malicieusement Aléa à l'attention du druide.
Phelim se demanda si la jeune fille n'avait pas lu dans ses pensées.
- Ils se montrent très agressifs. Et puis, disons que nous sommes en désaccord avec leur... philosophie.
- Pourquoi? insista Aléa.
- Parce qu'elle nie l'existence de la Moira. Ils croient que leur Dieu seul est créateur de toutes choses. De plus, leur enseignemen se fait par l'écrit, or nous, druides, pensons que I'écrit est la mort du savoir. Que ce qui est couché sur le papier est fixé, et donc mort, alors que la vraie connaissance ne doit pas être fixe, elle doit évoluer. Notre enseignement est oral. II se transmet dans l'intimité du maître et de l'apprenti. Tu comprends?

La mémoire de la terre est étrangère à celle des hommes.

Alors que les cris de Mjolln semblaient disparaître derrière elle, Aléa sentit la lueur qui enflait au tréfonds de son âme, comme si la petite chandelle qu'Erwan lui avait appris à trouver avait allumé un feu tout entier dans sa tête. Cette même sensation de puissance, de peur, de folie motivée par l'urgence et qui l'avait saisie dans la lande ; cette fois elle se promit de ne pas l'abandonner. Elle chercha au plus profond d'elle-même l'incendie naissant, essaya de le saisir par la pensée, de s'y plonger pour ne faire qu'un avec lui. Quelque chose la poussait vers les flammes, quelque chose d'instinctif, d'animal, quelque chose qui la dépassait et qu'elle ne comprenait pas. Soudain, elle se leva d'un seul bond, portée par une force étrange qui lui brûlait le corps. Tous ses muscles semblaient contenir cette énergie inexplicable qui grandissait en elle, s'enflammait dans ses veines et son esprit. Quant elle ne put plus contenir cette vague puissante, elle tendit les mains vers la mer en hurlant de douleur.

Les énigmes sont les meilleurs moteurs à la réflexion

Chaque jour il vint étudier auprès du druide. En un an, il changea complètement de caractère, et même de physionomie. Plus rien ne lui faisait peur, car il savait qu'il avait une arme redoutable et qui ne cessait de grandir: le savoir. Il cessa de baisser la tête quand les adultes lui parlaient, il cessa de se laisser embêter par les garçons de son âge et même plus âgés, et il se mit à marcher avec plus d'assurance, le regard brillant, l'allure joyeuse.

- Cela pourrait être le Samildanach, reprit Phelim et pourtant c'est impossible.
Aléa se redressa aussitôt, avec une lueur d'espoir dans le regard.
- Pourquoi?
- Tu es une fille.
- Et les filles ne peuvent hériter du Samildanach?
- Non.

À quelques pas de là, Ahéna avait mis bas elle aussi, mais Imala ne pouvait distinguer grand-chose derrière la meute assemblée en rond. Elle enviait la louve dominante mais revint à ses petits, blottis contre son ventre. Affamée, elle commença par se repaître de son propre placenta, ne s'arrêtant par moments que pour donner un coup de langue réconfortant aux cinq nouveau-nés qui allaient bientôt trouver le chemin des mamelles. Elle se demanda quel mâle allait finalement quitter Ahéna pour lui apporter un peu de viande fraîche, et lança un grognement vers le clan. Quelques loups tournèrent la tête, la regardèrent un instant, mais aucun ne vint jusqu'à elle. Aucun n'aurait osé contrarier Ahéna en montrant trop d'affection à sa rivale, qui, en plus, avait l'orgueil de mettre bas à un moment où le clan n'avait pas besoin de nouveaux membres