L'appel de la forêt (L'appel sauvage)

Les hommes ,en creusant la terre obscure ,y avaient trouvé un métal jaune , enfoncé dans le sol glacé des régions arctiques ,et les compagnies de transport ayant répandu la nouvelle à grand renfort de réclame , les gens se ruaient en foule vers le nord . Et il leur fallait des chiens ,de ces grands chiens robustes aux muscles forts ,pour travailler , et à l 'épaisse fourrure pour se protéger contre le froid .

Sa ruse était la ruse du loup, une ruse diabolique ; son intelligence, celle du chien de berger et celle du saint-bernard ; et tout ceci, joint à l'expérience acquise à l'école la plus cruelle, faisait de lui une créature aussi redoutable qu'aucune de celles qui hantent les solitudes.

C' est ainsi que la vie isolée de l' individu étant peu de chose, en somme, et
les modifications de l' espèce laissant intacte la continuité de la race , avec
ses traits essentiels , ses racines profondes et ses instincts primordiaux ,
l' antique chanson surgit soudain en cette âme canine et le passé renaquit
en lui .

Cet homme lui avait sauvé la vie. C'était déjà quelque chose. En outre il était un maître idéal. D'autres veillaient au bien-être de leurs chiens par devoir ou par intérêt. Lui soignait ses chiens comme s'il s'agissait de ses enfants, parce qu'il ne pouvait s'en empêcher.

Une nuit, il s'éveilla en sursaut et bondit, l'oeil impatient; ses narines frémissantes humaient l'air, sa crinière se hérissait en une succession de vagues. De la forêt provenait l'appel- ou du moins l'une de ses notes, car l'appel en comportait plusieurs- plus clair et plus net qu'il ne l'avait jamais été: un long hurlement, qui ressemblait au cri d'un husky, mais était pourtant différent. Et il le reconnaissait comme un son déjà entendu auparavant, et depuis longtemps familier. Il bondit à travers le camp endormi, et fila d'un pas rapide et silencieux à travers les bois.. Comme il approchait du cri, il ralentit, devint prudent dans chacun de ses mouvements; alors, parvenu à une clairière au milieu des arbres, il vit soudain, dressé sur son arrière-train, museau pointant vers le ciel, un loup de la forêt long et maigre.

Buck était excusable pourtant de manifester quelque surprise en voyant de la
neige pour la première fois de sa vie.

Le monarque absolu de ce beau royaume était,depuis quatre ans,le chien Buck ,magnifique animal dont le poids et la majesté tenaient du gigantesque terre-neuve
Elno ,son père, tandis que sa mère Sheps, fine chienne colley de pure race écossaise , lui avait donné la beauté des formes et l 'intelligence humaine de son regard .
L 'autorité de Buck était indiscutée .IL régnait sans conteste non seulement sur la tourbe insignifiante des chiens d 'écurie, sur le carlin japonais Toots,sur le mexicain Isabel,étrange créature sans poils dont l 'aspect prêtait à rire ,mais encore sur tous
les habitants du même lieu que lui

Tout à coup Buck se sentit enfoncer dans une substance molle et blanche, semblable à de la poussière froide et mouillée. Il recula en grondant ; d'autres petites choses blanches tombaient et s'accrochaient à son poil. Intrigué, il en happa une au passage et demeura surpris : cette substance blanche brûlait comme le feu et fondait comme l'eau...

Le sombre silence hivernal avait fait place au grand murmure printanier de la vie qui s'éveille. Ce murmure s'élevait dans toute la contrée, chargé de la joie de vivre. Il provenait de ce qui, resté vivant, se remettait à bouger, de ce qui, ayant paru mort, était resté sans bouger pendant les longs mois de gel. La sève montait dans les sapins. De jeunes bourgeons éclataient sur les saules et trembles. Les arbustes et les plantes grimpantes revêtaient leur nouvelle parure de verdure. La nuit, les grillons chantaient, et le jour toutes sortes de créatures rampantes ou vivant au ras du sol se hâtaient de sortir au soleil. Dans la forêt, les perdrix s'envolaient avec fracas, les piverts tambourinaient. Les écureuils jacassaient, les oiseaux chantaient, et haut dans le ciel, venant du sud, les oies sauvages signalaient leur passage en curieux triangles qui déchiraient l'azur.

L’amour flambait en lui, ardent et fiévreux, l’amour profond, puissant, exclusif, cet admirable attachement du chien pour l’homme, qui a été tant de fois célébré et que jamais on n’admirera assez.