Citations sur Le Loup des mers (68)
[Loup Larsen] se tut et son regard absent alla se perdre, loin de nous, sur la mer infinie. La vieille et ancestrale mélancolie reprit sur lui son emprise. Il vibrait sous ses accords. Il s’était persuadé de s’abandonner au blues, et d’ici quelques heures on verrait le diable renaître en lui.
Loup Larsen : Décidément, jamais je ne parviendrai à vous faire entendre ce qu’est en vérité la vie ! Elle n’a aucune valeur, c’est entendu, excepté celle qu’elle se donne dans l’instant à elle-même. Et laissez-moi vous dire que ma vie, en cet instant précis, est inestimable, mais que je suis seul à même d’en apprécier le prix. Surestimation grotesque, je vous l’accorde, mais je n’y puis rien, puisque c’est cette vie qui circule dans mes veines qui fixe malgré moi son propre prix.
- Hump, connaissez vous la parabole du semeur qui s'en était allé au hasard semer son grain? Si oui, vous devez vous souvenir qu'une partie du grain est tombée, soit sur des endroits pierreux, seulement recouverts d'une légère couche de terre, soit parmi des ronces et des épines. Lorsque la semence a levé, certains de ces grains, qui n'avaient pas de racines suffisantes, ont vu leurs pousses se faner au soleil et bientôt périr, calcinées, d'autres, à peine levés, ont été étouffés....
Comme le grain semé sur un sol pierreux, j'ai été brûlé par le soleil, faute de racines suffisantes.
Quant à notre précieuse cargaison, elle finirait sur les épaules des élégantes.
Un fameux carnage que nous menions, et tout cela au nom de la déesse Mode : on ne consomme ni la chair ni l’huile de phoque.
La vie, à l'idée qu'elle doit cesser, se révoltera toujours. Elle ne peut aller contre sa nature.
En mâchant furieusement un bout de cigare, l'homme dont le regard m'avait sauvé faisait les cent pas sur le pont.
Il mesurait bien un mètre quatre-vingt-dix. Mais ce qui me frappa surtout, c'était sa vigueur exceptionnelle. Large d'épaules et de poitrine, il ne donnait pas, cependant une impression massive. Son énorme stature était souple et nerveuse, et il y avait en lui du gorille.
Il évoquait par son allure et par son aspect, cet homme préhistorique tel que se le forge notre imagination ; ce prototype des races actuelles, issues de lui, qui, comme les singes, gîtait dans les arbres et qui, dans sa force féroce et farouche était l'essence même de la vie....
(extrait du chapitre II)
La crise dura trois jours. Loup Larsen était presque aveugle. Il souffrit comme souffrent les bêtes sauvages et comme cela me semble être l’habitude sur les navires pareils au nôtre. C’est-à-dire solitaire, sans se plaindre et sans être plaint.
Préface
L’équipage est lå pour servir.
London, au fil des pages va le décrire avec une précision de chirurgien-sociologue. Il les scrute, les analyse, les ouvre, jusqu’au plus modeste d’entre eux. Des malheureux, des paumés, des malades.
Pour être matelot sur un phoquier à voile à la fin du XIXè siècle, il faut avoir à fuir : la misère ou soi-même.
Avec ce type-là, on sait jamais sur quel pied danser. En ce moment, il jure plus que par toi. Mais il est aussi changeant que les vents et les courants. Impossible de se fier à lui. Au moment où tu crois le tenir, le vent tourne, la brise se transforme en tempête et tu peux dire adieu à ta voilure !
La rudesse de ces hommes, à qui l’organisation sociale et industrielle donnait droit de vie et de mort sur leurs semblables, était stupéfiante. J’avais toujours vécu à l’écart du tourbillon du monde, et jamais je ne me serais imaginé que le travail pût aller jusque là.
Pour moi, la vie était chose sacrée par excellence, mais ici on n’en faisait aucun cas, elle n’était qu’un chiffre dans une arithmétique commerciale.