A tout ceux qui dans le hall consultaient les listes (...), je répétais, "Tout le monde est mort". S'ils insistaient, me montraient des photos d'une famille, je disais calmement : "Il y avait des enfants ? Pas un enfant ne reviendra." Je ne prenais pas de gants, je ne les ménageais pas, j'avais l'habitude de la mort. J'étais devenue dure comme ces anciens déportés qui nous virent arriver à Birkenau sans un mot de réconfort. Survivre vous rend insupportables les larmes des autres. On pourrait s'y noyer.
Survivre vous rend insupportables les larmes des autres. On pourrait s'y noyer.
Il faut vieillir pour accéder aux pensées de ses parents.
Tu n'es pourtant pas mort pour la France. La France t'a envoyé vers la mort. Tu t'étais trompé sur elle.
J'ai vu là-bas s'affaisser les peaux, les ventres, j'ai vu se friper les femmes, le délabrement des corps en accéléré, jusqu'au décharnement.
T'écrire m'a fait du bien. En te parlant, je ne me console pas. Je détends juste ce qui m'enserre le cœur. (p. 83)
Il faut vieillir pour accéder aux pensées de ses parents.
Tes mots ont glissé, s'en sont allés, même si j'ai du les lire plusieurs fois. Ils me parlaient d'un monde qui n'était plus le mien. J'avais perdu tout repère. Il fallait que la mémoire se brise, sans cela je n'aurais pas pu vivre.
« Ce mot est sorti de ma vie si tôt, qu’il me fait mal, je ne peux le dire que dans mon for intérieur, surtout pas l’articuler. Surtout pas l’écrire. » (p. 15)
Ta lettre aussi arrivait trop tard. Elle me parlait probablement d'espoir et d'amour mais il n'y avait plus d'humanité en moi, j'avais tué la petite fille, je creusais tout près des chambres à gaz, chacun de mes gestes contredisait et enterrait tes mots. J'étais au service de la mort. J'avais été son trag. Puis sa pioche. Tes mots ont glissé, s'en sont allés, même si j'ai dû les lire plusieurs fois. Ils me parlaient d'un monde qui n'était plus le mien. J'avais perdu tout repère. Il fallait que la mémoire se brise, sans cela je n'aurais pas pu vivre.