Citations sur En finir avec Eddy Bellegueule (239)
Les mots maniéré, efféminé résonnaient en permanence autour de moi dans la bouche des adultes: pas seulement au collège, pas uniquement de la part des deux garçons. Ils étaient comme des lames de rasoir, qui, lorsque je les entendais, me déchiraient pendant des heures, des jours, que je ressassais? me répétais à moi-même. Je me disais qu'ils avaient raison. J'espérais changer. Mais mon corps ne m'obéissait pas et les injures reprenaient.
Pourtant j'ignorais moi aussi les causes de ce que j'étais. J'étais dominé, assujetti par ces manières et je ne choisissais pas cette voix aiguë. Je ne choisissais ni ma démarche, les balancements de hanches de droite à gauche quand je me déplaçais, prononcés, trop prononcés, ni les cris stridents qui s'échappaient de mon corps, que je ne poussais pas mais qui s'échappaient littéralement de ma gorge quand j'étais surpris, ravi ou effrayé.
Ces paroles que fait surgir l'alcool et dont on ne sait jamais vraiment si elles sont enfouies depuis trop longtemps, refoulées au fond de celui qui les prononce, ou si elles n'ont aucun rapport à la vérité.
La cour de récréation fonctionnait de la même manière que le reste du monde.
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Il aurait été logique que lui aussi se fasse traiter de pédé. Le crime n'est pas de faire, mais d'être. Et surtout d'avoir l'air.
De mon enfance, je n’ai aucun souvenir heureux. Je ne veux pas dire que jamais, durant ces années, je n’ai éprouvé de sentiment de bonheur ou de joie. Simplement la souffrance est totalitaire : tout ce qui n’entre pas dans son système, elle le fait disparaître.
Sylvain était très admiré dans la famille. Mon cousin Sylvain, de dix ans mon aîné, un dur, avait passé une grande partie de sa jeunesse à voler des mobylettes, organiser des cambriolages où il raflait des télévisions et des consoles de jeux pour les revendre ensuite, vandaliser des bâtiments publics, faire sauter des boîtes aux lettres.
Chez mes parents nous ne dînions pas, nous mangions.
Pourquoi pleurais-je sans cesse ? Pourquoi avais-je peur du noir ? Pourquoi, alors que j'étais un petit garçon, pourquoi n'en étais-je pas véritablement un? Surtout : pourquoi me comportais-je ainsi, les manières, les grands gestes avec les mains que je faisais quand je parlais, les intonations féminines, la voix aiguë. J'ignorais la genèse de ma différence et cette ignorance me blessait.
Très vite j'ai brisé les espoirs et les rêves de mon père. Dès les premiers mois de ma vie le problème a été diagnostiqué. Il semblerait que je sois né ainsi, personne n'a jamais compris l'origine, la genèse, d'où venait cette force inconnue qui s'était emparée de moi à la naissance, qui me faisait prisonnier de mon propre corps...