Un mouvement caractéristique des bandes dessinées en France aura été l'évolution de leur statut culturel. Voué à la distraction enfantine, puis se dotant d'un (ou de) lectorat(s) adulte(s), le genre est finalement passé d'un circuit sub-culturel à un reconnaissance officielle. C'est-à-dire que ce n'est pas seulement la production qui a changé, c'est aussi son image de marque. De plus en plus, les bandes dessinées s'intègre à la culture légitime. Or, ce basculement a manifestement porté sur la globalité de l'expression : naguère globalement dévalorisées, les bandes dessinées sont aujourd'hui globalement valorisées. Le discours régnant est donc un discours totalisant, niveleur, disons d'amalgame, alors que le champ objectif des bandes dessinées, qu'il s'agisse des oeuvres comme des contextes éditoriaux, est disparate ou polymorphe. Il y a donc distorsion entre la réalité du genre, multiple, et son image, rassemblée. Cet amalgame peut être entretenu à la fois par les éditeurs (formules d'édition normalisées), les critiques (tout est évalué en vrac, selon des critères indifférenciés), les dessinateurs (par exemple dans le recherche d'un statut homogène de la profession) comme par le passif culturel (il y a une pratique sub-culturelle du ghetto, délimité sur un mode commun en marge de la culture officielle).
Si bien que lorsqu'on parle bande dessinée, il est évident qu'on ne sait pas de quoi, au juste, on parle, ou bien qu'on ne parle pas de la même chose. La pratique de l'amalgame entraîne la confusion des langages.
- Je me souviens t'avoir entendu dire que le virus de l'Avant-garde était comme celui de la grippe, créant notamment des poussées de fièvre...
- Quand une forme poétique, ou artistique en général, a une certaine puissance de développement, c'est absolument comme le virus de la grippe. Parce que le virus de la grippe se répand dans une population, la prend par surprise - c'est exactement ce que fait l'avant-garde -, la démolit, et puis les gens arrivent à produire des anticorps. Quand le virus se présente de la même manière que les Avant-gardes déjà connues, vous êtes immunisés. Donc, sa seule façon de faire, c'est qu'il change sa structure plusieurs fois, et que la parade existe, alors il fait une mutation. Et on peut suivre l'histoire des formes poétiques comme ça. Alors il y a peut-être quelque chose de ce genre qui se prépare en bande dessinée.
Tout critère de créativité émane d'une image préconçue de la création. Tout critère ne peut donc être institué ni réfuté en soi ; il n'a de sens qu'à l'intérieur du système qui le produit. Celui-ci doit alors être posé en tant que tel, sous peine de falsification et/ou d'imbécillité. En cela, une idée reçue n'est rien d'autre qu'un discours qui a perdu son origine.