À marée basse / Les grandes marées

La vie est une chose qu’on fait seul, Miles. On peut seulement aider et être aidé, mais jusqu’à une certaine limite. (p.192)

Je retins ma respiration, mais elle s’amplifia et persista. Pas moyen d’échapper au pet le plus mortel de toute l’histoire des pets. Une otarie en décomposition sentait moins mauvais.

À son intonation, je compris que j’avais trahi mon secret. Je n’avais jamais voulu qu’il sache quoi que ce soit au sujet d’Angie. J’ignorais comment je réagirais s’il commençait à délirer sur le nombre de peignoirs de bain qu’il pourrait accrocher sur ses nichons.

Il me donna également des nouvelles de la poitrine de Christy Decker, prétendant qu’il l’avait vue émerger de la piscine du YMCA avec des tétons auxquels il aurait pu accrocher son peignoir de bain.

Voilà à quoi se résumait la paternité à mes yeux : intervenir de temps à autre, juste pour mettre en garde vos enfants contre des choses qu’ils maîtrisent mieux que vous.

Le présentateur météo, qui avait appris l’art de sourire tout en parlant, promit que son bulletin allait suivre. Il me laissa tomber en lançant une publicité qui me donna l’impression déroutante que faire du ski nautique était moins dangereux et plus amusant avec Tampax.

Le juge ôta ses lunettes de soleil et nettoya méthodiquement les deux verres avec le bas de son T-shirt maculé de peinture. Il paraissait si ordinaire quand il ne parlait pas, avec ses petits yeux nuageux enfoncés dans un visage charnu sans menton. Sa mâchoire commençait bien, remarquai-je, puis elle s’égarait. Il n’était pas obèse, il était inachevé.

Impossible de deviner en voyant l’eau paisible et les prémices rassurantes d‘une nouvelle aube qu’il se passait une chose horrible. C’est ainsi avec la Terre : elle ne s’arrête pas pour prendre en compte les drames quotidiens des êtres vivants. Elle continue à tourner et à vibrer. Je crois que c’est ce qui pousse les gens vers la foi, cette prise de conscience troublante que le monde matériel se poursuit sans eux, sans reconnaissance ni compassion, et qu’il en était et en sera toujours de la sorte, avant eux et après eux.

A cet instant, je compris que je devais informer quelqu’un que la vieille Florence était déjà une bernique et qu’elle était en passe de devenir aussi figée qu’une bernacle.

En petit groupe, les crabes m’amusaient. Par contre, la nuit, quand ils se rassemblaient en grappes, ils me fichaient la trouille, surtout dans l’eau, où ils se déplaçaient deux fois plus vite que sur terre. De toute évidence les crabes étaient plus nombreux – et plus gros - que d’habitude, alors j’essayai de ne pas élargir mon champ de vision trop rapidement. En vain. J’en vis des centaines, peut-être même des milliers, se masser tels des bataillons de chars. Je reculai et sentais leurs carapaces craquer sous mes pieds. J’en eus le souffle coupé.