Peut-être que Florence avait raison, pensai-je, quand elle disait qu'on m'avait mis au monde pour faire quelque chose d'important.
Tant de mégalomanie à cause de la découverte de deux animaux morts, cela peut sembler puéril et délirant. Mais vous n'êtes pas ce gamin de treize ans qui se trouvait là durant cette nuit anormalement chaude et phosphorescente, avec ces deux savants semblables à de grands enfants qui échangeaient des regards pleins d'angoisse et d'excitation, avec leurs lampes électriques qui clignotaient sur le poisson et lui donnaient un air encore plus irréel qu'en plein jour, comme s'il s'agissait d'une relique recrachée par l'océan pour nous rappeler que nous savons si peu de choses.
Que voudrais-tu qu'on fasse ?
-Que vous regardiez autour de vous le plus possible, je suppose. Rachel Carson a dit que la plupart d'entre nous traversent la vie en aveugle. ça m'arrive certains jours, mais à d'autres moments je vois un tas de choses. Je pense que c'est plus facile d'ouvrir les yeux quand on est enfant. On n'est jamais pressé d'aller quelque part, et on n'a pas ces longues listes de choses à faire, comme vous autres.
..les événements survenus au cours de cet été n'avaient aucun lien avec moi. Même pas un peu. Absolument rien. Ce que j'avais observé n'était qu'une infime partie de la vie nouvelle qui bouillonnait dans nos eaux, et si j'en avais vu plus que la plupart des gens, c'était uniquement parce que j'étais le seul à regarder.
Une merveille de récit, j'ai adoré de bout en bout! Le personnage de Miles est tellement bien écrit.
En passant de la zone de graviers à celle du sable et de la vase, j’aperçus une énorme natice, la grande tueuse de palourdes en personne. Telle une cabine de bulldozer, sa coquille trop petite surmontait son corps, tas de chair suintante qui sillonnait la grève en quête d’une palourde ayant la malchance de se cacher sur son chemin. D’ordinaire, les natices ne se trouvent pas facilement, car elles se terrent en profondeur pour se nourrir. Leurs minuscules langues dentelées percent des trous juste au-dessus de la charnière qui ferme la coquille de leurs proies. Ensuite, elles injectent un décontractant musculaire qui liquéfie la palourde, jusqu’à ce qu’elles puissent l’aspirer comme on sirote un milk-shake. Ce qui explique qu’on tombe parfois sur des champs de coquilles vides percées au même endroit de petits trous parfaits. Comme si quelqu’un avait essayé de fabriquer un collier sous terre. Comme si on venait de découvrir le lieu d’un carnage où une famille entière de palourdes avait été victime d’un règlement de comptes de la pègre.