AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
Citations sur Le chant de la frontière (7)

Il roula vitres baissées pour reprendre ses esprits, puis se gara sur le bas-côté à environ deux kilomètres de chez lui dans l'espoir d'apercevoir l'une des constellations qu'il avait inventées au centre de formation. C'était ce qu'il préférait au Nouveau-Mexique : un immense ciel nocturne qui lui permettait d'imaginer tout l'univers. Sa mère lui avait dit qu'il était en perpétuelle expansion, les étoiles étant comme des points sur un ballon que l'on gonflait. Vrai ou pas, cela renforçait son impression grandissante d'évoluer sur une planète qui rapetissait sous un ciel qui s'élargissait.
Commenter  J’apprécie          30
"Les Etats-Unis sont le tyran paranoïaque du monde. Vu de ma fenêtre, on dirait que les Américains sont terrorisés par eux-mêmes. Voilà une variante du célèbre apophtegme de Roosevelt : nous ne devons avoir peur que d'une chose...nous-mêmes. "
Commenter  J’apprécie          20
La plus petite des deux silhouettes se retourna, poussa un couinement et mis un genou à terre avant d’être soulevée par la seconde. Et si ce n’étaient que des mômes ? Effrayer les enfants faisait partie de ses craintes, de ses phobies, les bébés l’adoraient, mais les gamins tremblait devant lui, malgré tous ses efforts pour paraître petit et sympathique.
Commenter  J’apprécie          20
Norm se tourna face au Canada et lança un regard noir en direction des collines tape-à-l’oeil à l’est d’Abbotsford, où de gigantesques fenêtres scintillaient telles des piscines verticales. Là-bas, une maison sur trois cultivait de la marijuana à ce qu’on racontait. Vrai ou pas, ça correspondait au sentiment grandissant de Norm : l’économie marchait sur la tête. Alors qu’il avait du mal à joindre les deux bouts avec ses vaches malades, des Canadiens gagnaient des millions en vendant de la drogue et des gamins de Seattle amassaient des fortunes sur Internet et dans des mondes virtuels dont il n’avait pas besoin et qu’il ne comprenait pas. Les millionnaires de Microsoft ? Ça ressemblait à une arnaque de vente par correspondance, et pourtant il entendait sans cesse parler de gamins qui prenaient leur retraite à trente ans. Pendant ce temps, lui n’avait pas le moindre contrôle sur le coût de sa production. Quand le prix du lait augmentait, les gros exploitants s’agrandissaient et les cours chutaient tandis que le coût de tout le reste s’envolait. Taxes foncières. Assurances. Matériel agricole. Absolument tout. Rien que ces deux dernières années le prix des aliments pour animaux avait presque doublé alors que celui du lait n’avait guère bougé depuis des décennies. Il était même inférieur à ce qu’il était en 1984 quand plus de la moitié des exploitations laitières de la vallée s’étaient jetées sur les offres de rachat du gouvernement. Norm aurait dû en faire autant. C’était évident maintenant. Il aurait pu vendre son troupeau quatorze dollars les cent livres puis cultiver des framboises. Il aurait engagé quelques travailleurs clandestins et pris des vacances en hiver – à condition de s’arranger avec sa morale et son patriotisme. Mais ce qui le rendait encore plus marteau que les fermes converties en champs de framboises, c’étaient celles qui devenaient des lotissements ou des ranchs pour parvenus en vacances. Pire que tout, certains snobinards gardaient les granges et les silos au nom d’une nostalgie charitable pour une Amérique qu’ils n’avaient pas connue. Presque la moitié des silos n’étaient pas plus authentiques que les fausses devantures de magasins de ces petites villes de l’arrière-pays qui s’échinaient à exploiter le filon du Far West. Combien de temps faudrait-il encore attendre avant que le spectacle de la vallée ne se limite aux grandes exploitations et à quelques fermes familiales délabrées destinées à amuser les touristes ? Regardez ! Voici Norm Vanderkool qui continue à traire ses vaches à genoux !
Commenter  J’apprécie          10
Wayne Rousseau se leva bien avant l’aube afin de réinventer l’ampoule électrique.
Travaillant dans sa cave à la lumière des lampes à pétrole et des bougies – autrement, ça n’aurait pas été drôle -, il tripota pendant des heures des bobines de platine, de titane, de nickel et de cuivre, jusqu’à ce qu’il se soit roussi tous les doigts de la main droite. Rien ne resta allumé plus de onze secondes avant de s’éteindre en clignotant ou en explosant.
Au cours de la semaine précédente, Wayne avait testé les quatre-vingt-quatre premiers filaments d’Edison, sans déroger à la pénible chronologie qui imposait de couper, fixer, électrifier et libérer chaque matériau, et leur combinaison, à l’intérieur d’une réplique de tube à vide qu’il avait commandée à une entreprise assez louftingue de Montréal. Après avoir achevé moins d’un dizième des tests d’Edison, il se sentait déjà abattu et vidé. Il attacha du tungstène à l’intérieur du tube, le scella, le relia à la batterie et abaissa l’interrupteur. L’ampoule s’éclaira un instant, scintilla, puis explosa. Wayne arracha ses lunettes de protection et balaya le sol.
Edison et ses assistants avaient essayé mille deux cents matériaux – dont les poils de barbe, les cartes à jouer et le fil de pêche – avant de trouver un filament fiable. Mille deux cents. Plus Wayne était habité par Edison, plus il se demandait comment un homme pouvait nourrir une telle obsession, au point de transformer une avalanche quotidienne d’échecs en un puissant stimulant.
Commenter  J’apprécie          00
Tout le monde se souvenait de la nuit où Brandon Vanderkool avait survolé le champ de neige des Crawford et capturé le Prince et la Princesse de Nulle Part. Cette histoire était si insolite et elle fut répétée tant de fois de manière si vivante qu’elle s’incrusta dans les mémoires des deux côtés de la frontière, au point d’oublier qu’on n’en avait pas été témoin personnellement.
Cette nuit avait débuté comme les quatre précédentes. Brandon essayait de ne pas se sentir dans la peau d’un imposteur tandis qu’il scrutait les champs, les collines et les routes, guettant des individus, des véhicules, des sacs, des ombres… c’est-à-dire tout ce qui n’avait rien à faire là. Il doutait une fois de plus de posséder les qualités requises pour faire un bon garde-frontière.
Il passa devant les champs de framboisiers endormis de Tom Dunbar, où, dans un élan de patriotisme, Big Tom avait construit une réplique de la statue de la Liberté haute de six mètres. Elle vieillissait à toute allure, à moins que, comme l’affirmait le vieil homme, elle n’eût été vandalisée par des Canadiens. À contrecœur, Brandon fit un signe de la main aux frères Erickson qui s’esclaffèrent et mimèrent un salut militaire dès qu’ils l’eurent reconnu dans son uniforme. Il dépassa dans un bruit de ferraille la laiterie de Dirk Hoffman, où Dirk en personne, juché sur un escabeau en bois, apportait la dernière touche à un nouveau panneau destiné aux écologistes : LES BAINS DE BOUCHE AUSSI SONT DES PESTICIDES !
Brandon donna un petit coup de klaxon poli, puis zigzagua au milieu de la route entre les nids-de-poule à moitié gelés. Il voulait aller voir de plus près la silhouette frangée d’une buse à queue rousse – vingt-six -, puis la croupe blanche d’un pic flamboyant – vingt-sept -, et suspendue au-dessus de tout cela, la forme en boomerang d’une hirondelle bicolore solitaire – vingt-huit.
Plus que jamais, Brandon avait l’impression de se promener sur le boulevard de son existence en étant payé pour faire ce qu’il aimait depuis toujours : observer les choses de près, encore et encore. Le côté répétitif et familier lui convenait. Il avait passé les vingt-trois années de sa vie sur ces terres agricoles et dans ces petites villes modestes, coincées entre les montagnes et la mer intérieure qui longeait le nord de l’État de Washington. Dès qu’il voyageait en dehors de ce réseau, il était désorienté, surtout quand il s’agissait de villes frénétiques grouillant de néons, de pigeons et de nains aux yeux exorbités qui le regardaient bouche bée. Deux heures passées dans les canyons flashy de Seattle ou de Vancouver et ses circuits s’enrayaient, ses mots se mélangeaient, et il craignait que son existence ne s’achève avant qu’il ait pu en comprendre le sens.
Certaines personnes mettaient ses excentricités sur le compte de sa dyslexie, si prononcée qu’un pédiatre écervelé avait parlé de don : alors qu’il risquait de n’être jamais capable de lire ou d’écrire mieux qu’un écolier, il verrait toujours des choses que nous ne pouvions pas voir. Selon d’autres avis, il était à l’étroit dans ce monde, tout simplement. Il prétendait mesurer deux mètres car les gens sont incapables de concevoir une taille supérieure, mais, en réalité, on pouvait lui attribuer cinq centimètres de plus et il n’était pas du genre maigrichon. Cent cinq kilos de viande et d’os empilés à la verticale sous un sourire en coin et une touffe de cheveux provocatrice qui lui donnaient l’apparence d’une sculpture inachevée. Sa taille avait toujours déclenché des attentes déraisonnables. Des professeurs d’art affirmaient que ses peintures d’oiseaux étaient aussi extraordinaires que son corps. Des entraîneurs de basket déliraient sur son potentiel, jusqu’à ce qu’il abandonne définitivement ce sport après avoir vu ce gigantesque Indien marquer un panier à la place d’un Jack Nicholson à moitié comateux dans Vol au-dessus d’un nid de coucou. Les grandes femmes s’extasiaient elles aussi devant sa puissance, jusqu’à ce qu’elles entendent ses élucubrations et son rire guttural ou qu’elles regardent ses œuvres de plus près.
Commenter  J’apprécie          00
Edison avait trente-deux ans quand il mit au point l’ampoule électrique. Trente-deux ans, bordel ! La moitié de l’âge de Wayne. En songeant aux deux portraits ambivalents que l’on brossait d’Edison – un magicien visionnaire qui éclaira le monde moderne et un incomparable connard avide de louanges –, Wayne penchait de plus en plus pour le second. Aucun homme n’avait pu inventer à lui seul les industries de la musique et du cinéma, la poupée qui parle et plus de mille autres découvertes capitales. Mais combien de temps cela aurait-il demandé sans Edison ? Voilà la question. Rayez cette tête de nœud de l’histoire et les preneurs de paris qui étudient ce genre de choses vous diront que la révolution électrique aurait encore dû attendre une génération avant de voir le jour, et l’industrie phonographique sans doute davantage. Tout cela venant d’un marginal sans éducation, presque sourd, pas assez intelligent pour comprendre que les choses qu’il imaginait et exigeait de lui-même et de ses sous-fifres n’étaient pas possibles. Peut-être était-ce exactement cet ADN, une forme de bêtise typiquement américaine, que possédaient tous les géants, que ce fût Edison, Ford ou Gates. Quand on les observait de plus près, ils paraissaient moins brillants et plus bizarres, n’est-ce pas ? Et peut-être que cela ne concernait pas seulement les Américains. La plupart des innovateurs du monde entier étaient des brutes épaisses qui poussaient la société à aller de l’avant. Voilà tout ce que Wayne retirait de son exercice matinal. Aucun enrichissement intellectuel, aucune gloire, aucune révélation. Juste un arrière-goût métallique dans sa bouche de connard impatient. Terrassé par la fatigue, il raya le tungstène de sa liste. Salopard d’Edison.
Commenter  J’apprécie          00




    Lecteurs (114) Voir plus



    Quiz Voir plus

    Dead or Alive ?

    Harlan Coben

    Alive (vivant)
    Dead (mort)

    20 questions
    1821 lecteurs ont répondu
    Thèmes : auteur américain , littérature américaine , états-unisCréer un quiz sur ce livre

    {* *}