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Citations sur La Montre en or (5)

Longue et mince, vous vous en souvenez, avec des yeux, comme je disais à l'époque, qui semblaient avoir été découpés dans le manteau de la nuit précédente, et en même temps, bien que nocturnes, sans le moindre abîme ou mystère.
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– Nul ne me paraît plus utile et plus approprié que la carrière de médaillon. Être médaillon fut le rêve de ma jeunesse ; me manquèrent cependant les instructions d’un père, et je finis comme tu me vois, sans autre consolation et soutien moral que les espoirs que je dépose en toi. Écoute-moi bien, mon cher fils, écoute-moi et entends. Tu es jeune, tu possèdes naturellement l’ardeur, l’exubérance, la fantaisie de ton âge ; ne les rejette pas, mais modère-les de manière à pouvoir, à quarante-cinq ans, entrer franchement dans le régime de l’aplomb et de la mesure. Le sage qui a dit : “la gravité est un mystère du corps”, a défini la contenance du médaillon. Ne confonds pas cette gravité-là avec cette autre qui, bien qu’elle se manifeste dans l’apparence, est un pur reflet ou une émanation de l’esprit ; celle-là provient du corps, et du corps seulement, un signe de la nature ou une manière d’être dans la vie. Quant à l’âge de quarante-cinq ans…
– C’est vrai, pourquoi quarante-cinq ans ?
– Ce n’est pas, comme tu pourrais le croire, une limite arbitraire, fille d’un pur caprice ; c’est la date normale d’apparition du phénomène. Généralement, le véritable médaillon commence à se manifester entre quarante-cinq et cinquante ans, bien que quelques cas se produisent entre cinquante-cinq et soixante ans ; mais ils sont rares. Il y en a aussi de quarante ans, et d’autres plus précoces, de trente-cinq ou trente ans ; ils sont toutefois peu ordinaires. Je ne parle pas de ceux de vingt-cinq ans : cette précocité est le privilège du génie.
– Je comprends.
– Venons-en au principal. Une fois entré dans la carrière, tu dois porter toute ton attention sur les idées que tu devras nourrir pour l’usage d’autrui et le tien propre. Le mieux serait de n’en avoir aucune ; chose que tu comprendras aisément si tu imagines, par exemple, un acteur privé de l’usage d’un bras. Il peut, par un miracle de l’artifice, dissimuler son défaut aux yeux de l’assistance ; mais il serait bien mieux de disposer des deux. Il en va de même pour les idées ; on peut, en se faisant violence, les étouffer, les cacher jusqu’à sa mort ; mais cette capacité n’est guère commune, et cet effort constant ne saurait d’ailleurs convenir à l’exercice de la vie.
– Mais qui vous dit que moi…
– Si je ne m’abuse, mon fils, tu me parais doué de la parfaite ineptie mentale qui convient à ce noble office. Je ne me réfère pas tant à la fidélité avec laquelle tu rapportes dans un salon les opinions entendues au coin de la rue, et vice-versa, car ce fait, bien qu’il trahisse une certaine carence en idées, pourrait n’être rien d’autre qu’une défaillance de la mémoire. Non ; je me réfère à la contenance rigide et compassée avec laquelle tu as coutume d’exposer franchement tes sympathies ou tes antipathies à l’égard de la coupe d’un gilet, des dimensions d’un chapeau, des bottes neuves qui grincent ou ne grincent pas. Voilà un symptôme éloquent, voilà une espérance. Néanmoins, comme il se pourrait qu’avec l’âge tu en viennes à être affligé d’idées propres, il importe d’en prémunir fortement ton esprit. Les idées sont par nature spontanées et subites ; on a beau les réprimer, elles surgissent et se précipitent. De là cette sûreté avec laquelle le vulgaire, dont le flair est extrêmement délicat, distingue le médaillon complet de l’incomplet. (« Théorie du Médaillon », 1881)
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Parfois, comme émanée des profondeurs de l'inconscient, pointait l'amorce d'une idée; il se précipitait au piano pour la développer, lui donner une traduction sonore, mais en vain, l'idée se dissipait. D'autres fois, assis devant le clavier, il laissait ses doigts errer sur les touches au hasard, pour voir si l'inspiration allait sourdre d'eux spontanément, comme chez Mozart; mais rien, rien, l'inspiration ne venait pas, l'imagination demeurait assoupie. Et si par bonheur une autre idée, précise et belle, surgissait, elle n'était que l'écho d'un thème emprunté à un autre compositeur, et que sa mémoire reproduisait alors qu'il croyait l'inventer. Alors il se relevait, exaspéré, jurant de renoncer à l'art et d'aller planter du café ou conduire une charrue. Mais il ne s'était pas écoulé dix minutes, que de nouveau, les yeux rivés sur le portrait de Mozart, il était au piano, en train de l'imiter.

Un homme célèbre
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– J’avais vingt-cinq ans, j’étais pauvre, et je venais d’être nommé sous-lieutenant de la garde nationale. Vous ne pouvez imaginer les proportions que prit chez moi l’événement. Ma mère en fut si fière, si heureuse ! Elle m’appelait son sous-lieutenant. Mes cousins, mes oncles, tous démontrèrent une joie sincère et pure. Il y eut bien dans le pays quelques marques de dépit ; des pleurs et des grincements de dents, ainsi qu’il est dit dans l’Écriture ; et pour cette simple raison que, pour ce seul poste, il y avait beaucoup de candidats, et qu’ils furent évincés. Je présume aussi qu’une partie de ce désappointement fut purement gratuit, motivé uniquement par le fait que j’avais été désigné ; je me souviens de certains garçons, dans les meilleurs termes avec moi, et qui de ce jour se mirent à me regarder de travers. Nombre de gens, par contre, se réjouirent de ma nomination ; la preuve en est que la totalité de mon uniforme me fut offerte par des amis. C’est alors qu’une de mes tantes, qui vivait dans une ferme solitaire et retirée à plusieurs lieues de la ville, Dona Marcolina, veuve du capitaine Peçanha, manifesta le désir de me voir, et elle demanda que je vienne avec mon uniforme. J’y allai à cheval, en compagnie d’un domestique, lequel rentra seul en ville quelques jours plus tard, car la tante Marcolina, à peine eus-je posé le pied sur ses terres, écrivit à ma mère pour dire qu’elle ne me libérerait pas, au plus juste, avant un mois. Et elle m’embrassait, m’appelait elle aussi son sous-lieutenant ! Elle me trouvait fort joli garçon. Comme elle était d’une nature plutôt originale, elle alla même jusqu’à me dire qu’elle enviait la jeune fille qui deviendrait ma femme ; elle ne voyait pas, assurait-elle, dans toute la province, meilleur parti que moi. Et de me donner sans arrêt du sous-lieutenant ; sous-lieutenant par-ci, sous-lieutenant par-là, à toutes les heures du jour et de la nuit. J’avais beau lui demander de continuer à m’appeler Joãozinho, comme avant, elle secouait la tête, protestait que non, que j’étais “Monsieur le sous-lieutenant”. De même un parent, frère de son défunt mari, qui vivait chez elle, ne m’appelait pas autrement. J’étais “Monsieur le sous-lieutenant”, et non pas par jeu, mais le plus sérieusement du monde, et jusque devant les esclaves, qui naturellement emboîtèrent le pas. À table, j’avais la meilleure place, j’étais toujours le premier servi. Vous ne pouvez pas vous faire une idée. Si j’ajoute que dans son enthousiasme la tante Marcolina alla jusqu’à faire placer dans ma chambre un miroir en pied, une pièce magnifique et de grande valeur, qui tranchait avec le reste de la maison, où le mobilier était modeste et simple… (« Le miroir », 1882)
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Camilo lui prit les mains, et la regarda, sérieux, intense, protestant qu’il la chérissait, que ses frayeurs étaient celles d’un enfant ; si de telles craintes la reprenaient, la meilleure cartomancienne en tout cas, c’était encore lui. Puis il la sermonna, lui représenta quelle imprudence c’était d’aller dans ce genre de maison. Si Vilela venait à l’apprendre… La suite…
– Venait à apprendre quoi ? J’ai fait très attention en arrivant devant la maison.
– Où se trouve-t-elle ?
– Tout près d’ici, dans la rue da Guarda Velha. Il ne passait personne quand je suis entrée dans la maison. Rassure-toi, je ne suis pas folle.
– Tu crois à ces choses, vraiment ? demanda Camilo, et son rire le reprit.
C’est alors que, sans savoir qu’elle traduisait Hamlet en langue vulgaire, elle lui dit qu’il y avait bien des choses mystérieuses et véridiques en ce monde. S’il n’y croyait pas, tant pis ; mais le vrai est que la cartomancienne avait tout deviné. Quoi encore ? La preuve, c’est qu’elle était maintenant tout à fait tranquille et satisfaite. (« La cartomancienne », 1884)
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