Le Poulpe, dans l'ensemble, c'est plutôt sympa.
L'idée de faire traiter chacun des volumes (plus de 200) par un auteur différent avec un cahier des charges précis : personnage central tendance anar, né en 1960, grand lecteur, libertaire, humaniste, globalement rebelle, séducteur, grand et dégingandé, qui a ses habitudes dans le onzième arrondissement, chez Gérard, patron bon enfant mais un rien atrabilaire, dans le bar-brasserie Au pied de porc à la Sainte Scolasse avec ses habitués, son personnel (Maria, la femme du boss, Vlad, le cuistot plus ou moins clandestin, a priori ancien médecin, et même Léon, berger allemand en fin de vie, cradingue et lymphatique), une petite amie coiffeuse, Chéryl, intelligente et fleur bleue à la fois, qui adore les peluches et le rose, avec qui il s'offre des séances d'amour physique mémorables, Pedro, son vieil ami espagnol et faussaire, ancien imprimeur, Raymond, qui répare au fur et à mesure son avion, un Polikarpov mal en point … bref, j'en passe, et des meilleures, l'idée est excellente.
Curieux des affaires louches et basses magouilles, le Poulpe, de son vrai nom
Gabriel Lecouvreur, ainsi surnommé à cause de ses membres démesurés, file un peu d'emblée où ça ne sent pas très bon, au gré de ses rencontres, des articles de journaux, goûter des bières (sa passion gourmande), s'offrir pas mal d'aventures féminines (lui et Chéryl sont assez libres à ce sujet) et nuire tant que faire se peut aux méchants du coin.
Au gré des auteurs et auteures, ses périples peuvent aussi bien le mener en Bretagne ou en Savoie qu'en Roumanie ou en Albanie, encore au Mahgreb ou en Bourgogne, voire tout simplement en plein Paris. Voitures de location, faux papiers fournis par Pedro … la toile de fond varie, mais avec des constantes évidentes. En premier lieu, la corruption, le trafic, les contacts mafieux, le racisme, le machisme, la bêtise, le fric facile, les notables pourris, l'extrême-droite, les sectes …
L'ensemble ne désavouerait pas
Chabrol, pas plus que
Donna Leon ou Camilleri.
Dans cet opus, écrit par
Lucio Mad, le Poulpe se rend à Dakar, où il devra élucider une série de meurtres dans le milieu du rap sénégalais, à la demande d'un ancien copain de lycée.
Lucio Mad, né en 1962 et mort en 2005 d'un cancer du poumon, a écrit aussi des romans pour la jeunesse et d'autres oeuvres assez noires.
Là, c'est assez rare pour être noté, tout le livre est joué à la première personne. Ce texte, raconté par le Poulpe lui-même, ne passe pas. Il n'y a pas que le manque de recul sur le personnage dû à ce choix, mais une foule d'autres choses fort pénibles. L'enquête est poussive, peu crédible d'un bout à l'autre. L'apologie de la beuh s'avère écoeurante, les descriptions du monde sénégalais se veulent branchées, elles sonnent faux. Rien ne décolle. Utiliser un vocabulaire grossier peut faire swinguer, parfois. Là, il n'en est rien. Ceci nous entraîne vers le bas. On dirait un trip d'adolescent, trop rajeuni pour être vrai, trop excessif pour garder encore du peps, le tout assurément mal fagoté, et, aussi, très naïf. La description des jeunes femmes sénégalaises, sur le fond, évoque presque la collection Harlequin. C'est chiant, convenu, conformiste dans l'anti-conformisme, sans la moindre idée originale. Cerise sur le gâteau, les pages consacrées à un match de coupe d'Europe du PSG rajoutent à la navrance générale.
Bref, tout cela, est mauvais, mauvais, et encore mauvais.
Désolé, Lucio ! Mais je suis de ceux qui pensent qu'il n'est pas forcément besoin de psychotropes pour exalter le génie, voire même le talent.
À côté des opus traités par
Chantal Pelletier,
Alain Bellet et autres
Emma Christa,
Guillaume Nicloux ou Claude Mesplède, sans évoquer les fondateurs,
Patrick Raynal ou
Jean-Bernard Pouy, ce
Dakar en barre fait bien pâle figure.
À lire seulement si vous êtes inconditionnels.
Mais bon, vous voilà prévenus !