Citations sur Trois Orients : Récits de voyages (12)
Une spiritualité authentique - quand elle ne se pervertit pas en sa propre caricature qui la nie, comme il advient avec les fondamentalismes - est toujours universelle, elle n'appartient pas seulement à ceux qui la professent explicitement en tant que fidèles et pratiquants.
Les civilisations ont une physionomie qui leur est propre, non une identité rigide et immuable qui coïnciderait complètement avec un pays.
L'eau, dans la baie d'Along, est couleur de jade, dense sans être trouble, d'une tiédeur tropicale; une dernière gorgée d'été, un été qu'on ne ressent pas comme une saison passagère, mais plutôt comme une façon d'être, un état. Des îles enchanteresses et des rochers sertissent le vaste golfe; la barque effleure des grottes mouvantes et friables, boueuses.
Est-il possible de retrouver les morceaux de nous-mêmes que les continuels déchirements du vivre, individuel et collectif, nous arrachent et jettent dans le fleuve qui s'enfuit? La paix, c'est aussi cela, la réconciliation avec tout ce qui fait partie de soi-même, avec son propre pays, avec sa propre histoire.
Voyager est une école d'humilité; on touche du doigt les limites de sa propre compréhension, la précarité des schémas et des outils avec lesquels une personne ou une culture s'imaginent en comprendre une autre ou la jugent.
Aujourd'hui plus que jamais, vivre signifie voyager ; la condition spirituelle de l'homme comme voyageur, dont parle la théologie, est aussi une situation concrète pour des masses de plus en plus importantes de personnes.
L'éthique de la responsabilité, qui pense non seulement à la pureté des idéaux mais aussi à leurs conséquences pour les autres, est l'un des fondements de la vie civile et de la démocratie. Mais on ne sent jamais autant qu'en voyage combien est fort le risque qu'elle ne se dilue en complicité involontaire ou du moins en neutralité coupable. Les résidents, les sédentaires, sont obligés de faire à fond leurs comptes avec la réalité au sein de laquelle ils vivent, sans se dérober, comme peut, en revanche, facilement le faire celui qui, la nuit suivante, dormira sous d'autres cieux. Voyager est immoral, disait l'inflexible Weininger. Mais il le disait au cours d'un voyage...
Le court-circuit progrès-régression; le prétendu choc des civilisations, cette mystification qui devient réalité par le biais du mensonge ; la continuelle transmutation de la lutte pour la liberté en oppression, la nécessité et la difficulté de la laïcité, les choses dernières et l'éphémère actualité quotidienne effacée par l'arbitraire de l'information : les problèmes brûlants du monde ressortent dans ces pays avec une particulière intensité et impriment une tonalité particulière au voyage. Les phénomènes inhérents à tout voyage la fuite, le retour, l'immoralité, la fraternité, le risque, la cruauté du voyager prennent, avec ces itinéraires, d'autres tons, de nouveaux accents, des nuances différentes.
Les sociétés qui imposent une morale répressive sont responsables aussi des vices qu'elles génèrent, responsables surtout d'augmenter, en ne voyant partout que perversion, la fascination obtuse pour la perversion ou ce qui est présumé tel. Tout est pur pour les purs, dit l'Évangile. Mais Nietzsche ajoute que pour les porcs, tout est porc.