AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
Citations sur Villa des Femmes (39)

C'était aux confins des steppes, ils roulèrent des heures sur des pistes, alors qu'au loin les premiers monts pelés de ce qui toujours plus à l'est devient l'Himalaya dessinaient d'étranges arêtes que le soleil teintait de vermeil et de pourpre. On était au printemps, me rappela-t-il, et, outre les champs de coton et la blancheur de leurs récoltes, le paysage aride était couvert de coquelicots à perte de vue. Des cavaliers surgissaient, creusant des sillons dans ce tapis sang et neige, et venaient vers eux au galop...
Commenter  J’apprécie          00
Avec le jardinier, on se demandait quelle forme concrète allait prendre la mainmise des banques sur les usines et les terres du côté sud-ouest, si ce seraient des fils barbelés ou si on détruirait carrément les bâtiments. Mais il ne se passa rien, parce que les banques ont tout leur temps, et que, même si on se précipitait allègrement vers le gouffre, elles pouvaient attendre qu'on en sorte, fût-ce au bout de cent ans. D'ailleurs, nous aussi nous vivions comme si tout allait perdurer, comme si le tissu des jours ne pouvait jamais se déchirer , et moi, j'aimais sentir se nouer et se dénouer autour de moi les gestes' quotidiens parce qu'ils étaient comme la preuve de l'éternité du monde et des choses. Je n'avais jamais cessé d'aimer la sarabande des bonnes; celles qui chantait en passant la serpillière pieds nus sur le dallage frais, celle qui mettait le volume de la radio trop haut avant de le baisser sous les cris de Jamilé, ou cette jolie Kurde que je surpris involontairement, en passant devant la fenêtre de sa chambre, en train de se contempler devant le miroir tandis qu'elle défaisait son chemisier, et que j'espionnai en faisant discrètement un pas en arrière pour la regarder lentement défaire son haut, puis dégrafer son soutien-gorge, pour libérer ses deux superbes seins, lourds et droits, qu'elle se mit à caresser amoureusement et comme son bien le plus cher. J'aimais ce sentiment que tout allait durer toujours, avec la même population diverse et variée passant par le portail, les marchands des quatre-saisons qui s'arrêtaient et attendaient la ruée des servantes puis la lente et cérémonieuse arrivée de Jamilé, la camionnette du pressing qui entrait tous les mardis et le vélo du poissonnier tous les vendredis, et aussi les démarcheurs et les représentants que j'étais chargé de reconduire mais que je laissais arriver jusqu'à mon perron, comme ce singulier représentant en poignées de portes qui avait toutes sortes d'accessoires aux formes bizarres dans une petite valise et qui prétendait que l'on ne pouvait vendre des poignées de porte sans être un expert dans l'art de mouler ses mains et ses paumes sur leurs formes comme sur celles d'une femme, et que les meilleurs amants étaient de ce fait et indubitablement les représentants en poignées de porte.
Commenter  J’apprécie          441
Lorsqu'il me le raconta, bien plus tard, il conclut en disant avec un sourire et tout en pensant à quelque chose que je ne sus déchiffrer que cette nuit afghane avait été sa part d'immortalité.
Commenter  J’apprécie          10
Mais Hareth, étendu sous le ciel nocturne des steppes mythiques de Bactriane, ne put fermer l'œil, le regard ébloui par la poussière d'argent qui miroitait au-dessus de lui, presque à portée de main, pas tout à fait la même et pas tout à fait une autre que celle sous laquelle avaient campé les peuples indo-européens en marche vers le sud, les armées d'Alexandre le Grand ou celles des envahisseurs scythes ou chinois. Il ne songeait pas, me dit-il, à la ridicule vanité des hommes face à un cosmos qui les ignorait et ne saurait jamais rien d'eux ni de leurs milliers d'années de civilisation, il ne songeait pas non plus au fait que, au regard du scintillement infini de l'univers, l'histoire humaine n'avait sans doute pas plus de consistance qu'une seconde ou deux de l'existence d'un individu sur terre. Non, il pensait au contraire qu'à un moment éphémère de l'histoire insondable du cosmos et de son temps infini, en un point perdu de l'espace, une intelligence et une conscience éphémères, celles des êtres humains, comme un miroir avaient reflété et pensé cette immensité à laquelle aucune autre intelligence n'avait donné d'existence ni de sens et n'en donnera probablement jamais plus. Lorsqu'il me le raconta, bien plus tard, il conclut en disant avec un sourire et tout en pensant à quelque chose que je ne sus déchiffrer que cette nuit afghane avait été sa part d'immortalité.


Page 235 et 236 - Très touchée par la beauté de cette citation
Commenter  J’apprécie          251
Marie sortit du salon et cette fois il accepta de la suivre. Elle lui proposa de parer au plus urgent avec ce qui lui restait à elle, quelques bijoux et surtout son solitaire, la chose sans laquelle une femme comme elle perdait son rang. Et cet abruti qui l'avait bousculée en entrant accepta de ressortir avec ses dernières richesses, des richesses dont elle se dépouilla comme on se dénude. Il la prit dans ses bras, les larmes aux yeux, dans une scène mélo dramatique que Marie, qui n'était pas dupe, supporta avec impatience , rigide et glaciale, tandis que là-haut un affreux rictus de triomphe se dessinait certainement sur le visage de la terrible Mado et que nous, le chauffeur, les cuisinières, les bonnes, le jardinier qui assistions impuissant à cet effroyable gâchis, n'avions qu'une seule pensée mais que nous n'osions même plus formuler, que nous percevions dans les regards que nous échangions ou dans les soupirs que nous laissions échapper discrètement, à savoir si Hareth, le fils cadet, avait été présent, s'il était revenu de ses interminables et incompréhensibles tribulations, nous n'en serions peut-être pas arrivés là.


Page 171
Commenter  J’apprécie          190
Si les problèmes étaient à chaque fois réglés, le patron n'en sortait pas moins épuisé. Mais, tout cela, je crois qu'il le faisait parce que ainsi il demeurait au courant des affaires, et pouvait protéger ses terres, ses biens et l'usine. Et aussi, pour que le monde tel qu'il l'avait connu puisse durer le plus longtemps possible, alors qu'il devait bien se douter que les changements étaient inéluctables. Si bien que, quand j'y repense aujourd'hui, j'ai cette impression que si notre univers a en partie résisté encore quelques années, c'est grâce à lui. Il tenait les fils de notre destin entre ses mains et tant qu'il tint bon, tout tint, les choses continuèrent de tourner, avec la maison au centre, et le monde autour, avec l'usine qu'il gérait patiemment, avec les orangers et les pins, avec les cueilleurs de pignons perchés au sommet des arbres, avec le va-et-vient devant le portail, avec les bonnes qui passaient la serpillière pieds nus et en chantant à tue-tête quand les patrons étaient absents, avec les lubies de Mado, avec l'élégance de la patronne et avec l'excitante présence de Karine qui, comme toutes les filles de son milieu, était surveillée attentivement, à l'instar de la fille d'un prince promise à quelque altesse et qu'il faut protéger du monde, autorisée à tous les caprices à l'intérieur mais très peu en dehors


Page 119 - Ayn Chir avant la guerre civile
Commenter  J’apprécie          190
C’étaient la grandeur symbolique des Hayek et le souvenir d’un monde gouverné par son père qu’elle avait chevillés au corps, dont elle se voulait le dernier défenseur, et non pas la matérialité de cette grandeur ni ce qu’avait fait Skandar au jour le jour pour la maintenir.
Commenter  J’apprécie          00
Ce que nous ignorions en fait, c’est qu’à ce moment il était effectivement passé par Kaboul mais en était déjà parti, car à l’issue de son expérience dans la steppe afghane, selon ce qu’il me raconta plus tard, il avait subitement eu envie de rentrer. « Il y a des jours, me confia-t-il, où on se dit que, où qu’o aille désormais, ce sera pareil », et une nostalgie irrésistible pour la maison, les vergers, pour sa mère et sa sœur se mit à le tenailler.
Commenter  J’apprécie          10
Les bonnes étaient blêmes, tout tremblait autour de nous, on s’entendait à peine, et nos corps pour se mouvoir devaient lutter contre le vacarme, comme contre une marée montante qui submergeait tout. Moi, je tentais malgré les protestations d’aller vers la porte d’entrée pour comprendre ce qui se passait, je l’ouvrais et, à plat ventre, j’essayais de regarder dehors. Le vacarme redoublait mais je ne voyais jamais rien, sinon le rebord de la rambarde du perron où je m’asseyais d’habitude. Je me redressais un peu, la fusillade se poursuivait mais ce n’était pas dans notre rue, car du côté du portail tout était parfaitement immobile. Et puis, aussi brutalement que cela avait commencé, tout cessait, et le silence s’abattait, monumental, spectaculaire.
Commenter  J’apprécie          00
Ce qui n’empêcha pas Mado de sortir de ses appartements à l’étage, où elle s’était retirée depuis le début des folies de son neveu, et d’exiger que l’on mît finaux agissements de Noula. En tant que tante, elle n’avait aucun pouvoir sur le personnage, amis elle pensait que sa mère en aurait. Or cette dernière resta de marbre, puis déclara sèchement face à l’insistance de sa belle-sœur qu’elle n’avait nul moyen d’agir. Mado aurait pu alors mettre le feu aux poudres, déclencher les hostilités bien avant le temps où le destin semblait en avoir fixé l’échéance, mais elle se tut, elle n’ajouta rien, sauf qu’assurément elle devait penser que le refus d’agir de Marie était volontaire, qu’elle contribuait sciemment par son silence à la faillite des Hayek, à la destruction de leur patrimoine, que c’était sa revanche. Peut-être même était-elle persuadée que tout cela ne venait pas du sang des Hayek mais de la part étrangère qui s’y mêlait dans les veines de Noula. Mais elle ne dit rien, le temps n’était pas encore venu, même si tout son être parlait pour elle, ses regards indignés, sa raideur, sa maigreur pythique et ses marmonnements.

Commenter  J’apprécie          00






    Lecteurs (315) Voir plus



    Quiz Voir plus

    Famille je vous [h]aime

    Complétez le titre du roman de Roy Lewis : Pourquoi j'ai mangé mon _ _ _

    chien
    père
    papy
    bébé

    10 questions
    1430 lecteurs ont répondu
    Thèmes : enfants , familles , familleCréer un quiz sur ce livre

    {* *}