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Citations sur Villa des Femmes (39)

Avec le jardinier, on se demandait quelle forme concrète allait prendre la mainmise des banques sur les usines et les terres du côté sud-ouest, si ce seraient des fils barbelés ou si on détruirait carrément les bâtiments. Mais il ne se passa rien, parce que les banques ont tout leur temps, et que, même si on se précipitait allègrement vers le gouffre, elles pouvaient attendre qu'on en sorte, fût-ce au bout de cent ans. D'ailleurs, nous aussi nous vivions comme si tout allait perdurer, comme si le tissu des jours ne pouvait jamais se déchirer , et moi, j'aimais sentir se nouer et se dénouer autour de moi les gestes' quotidiens parce qu'ils étaient comme la preuve de l'éternité du monde et des choses. Je n'avais jamais cessé d'aimer la sarabande des bonnes; celles qui chantait en passant la serpillière pieds nus sur le dallage frais, celle qui mettait le volume de la radio trop haut avant de le baisser sous les cris de Jamilé, ou cette jolie Kurde que je surpris involontairement, en passant devant la fenêtre de sa chambre, en train de se contempler devant le miroir tandis qu'elle défaisait son chemisier, et que j'espionnai en faisant discrètement un pas en arrière pour la regarder lentement défaire son haut, puis dégrafer son soutien-gorge, pour libérer ses deux superbes seins, lourds et droits, qu'elle se mit à caresser amoureusement et comme son bien le plus cher. J'aimais ce sentiment que tout allait durer toujours, avec la même population diverse et variée passant par le portail, les marchands des quatre-saisons qui s'arrêtaient et attendaient la ruée des servantes puis la lente et cérémonieuse arrivée de Jamilé, la camionnette du pressing qui entrait tous les mardis et le vélo du poissonnier tous les vendredis, et aussi les démarcheurs et les représentants que j'étais chargé de reconduire mais que je laissais arriver jusqu'à mon perron, comme ce singulier représentant en poignées de portes qui avait toutes sortes d'accessoires aux formes bizarres dans une petite valise et qui prétendait que l'on ne pouvait vendre des poignées de porte sans être un expert dans l'art de mouler ses mains et ses paumes sur leurs formes comme sur celles d'une femme, et que les meilleurs amants étaient de ce fait et indubitablement les représentants en poignées de porte.
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Mais Hareth, étendu sous le ciel nocturne des steppes mythiques de Bactriane, ne put fermer l'œil, le regard ébloui par la poussière d'argent qui miroitait au-dessus de lui, presque à portée de main, pas tout à fait la même et pas tout à fait une autre que celle sous laquelle avaient campé les peuples indo-européens en marche vers le sud, les armées d'Alexandre le Grand ou celles des envahisseurs scythes ou chinois. Il ne songeait pas, me dit-il, à la ridicule vanité des hommes face à un cosmos qui les ignorait et ne saurait jamais rien d'eux ni de leurs milliers d'années de civilisation, il ne songeait pas non plus au fait que, au regard du scintillement infini de l'univers, l'histoire humaine n'avait sans doute pas plus de consistance qu'une seconde ou deux de l'existence d'un individu sur terre. Non, il pensait au contraire qu'à un moment éphémère de l'histoire insondable du cosmos et de son temps infini, en un point perdu de l'espace, une intelligence et une conscience éphémères, celles des êtres humains, comme un miroir avaient reflété et pensé cette immensité à laquelle aucune autre intelligence n'avait donné d'existence ni de sens et n'en donnera probablement jamais plus. Lorsqu'il me le raconta, bien plus tard, il conclut en disant avec un sourire et tout en pensant à quelque chose que je ne sus déchiffrer que cette nuit afghane avait été sa part d'immortalité.


Page 235 et 236 - Très touchée par la beauté de cette citation
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La pierre de l’affûteur tournait toujours, ainsi que le monde autour de la maison, de ses jardins, de ses orangeraies. C’était une autre époque, où le vent soulevait les draps mis à sécher sur les toits, où l’on aérait les tapis en les jetant sur les rambardes de la terrasse et sur les plates-bandes, où l’on faisait son eau de fleurs d’oranger soi-même dans le garage et où le marchand de journaux arrivait à vélo, comme le facteur, avec son chargement de paperasse imprimée, de magazines et de journaux.
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Marie sortit du salon et cette fois il accepta de la suivre. Elle lui proposa de parer au plus urgent avec ce qui lui restait à elle, quelques bijoux et surtout son solitaire, la chose sans laquelle une femme comme elle perdait son rang. Et cet abruti qui l'avait bousculée en entrant accepta de ressortir avec ses dernières richesses, des richesses dont elle se dépouilla comme on se dénude. Il la prit dans ses bras, les larmes aux yeux, dans une scène mélo dramatique que Marie, qui n'était pas dupe, supporta avec impatience , rigide et glaciale, tandis que là-haut un affreux rictus de triomphe se dessinait certainement sur le visage de la terrible Mado et que nous, le chauffeur, les cuisinières, les bonnes, le jardinier qui assistions impuissant à cet effroyable gâchis, n'avions qu'une seule pensée mais que nous n'osions même plus formuler, que nous percevions dans les regards que nous échangions ou dans les soupirs que nous laissions échapper discrètement, à savoir si Hareth, le fils cadet, avait été présent, s'il était revenu de ses interminables et incompréhensibles tribulations, nous n'en serions peut-être pas arrivés là.


Page 171
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Si les problèmes étaient à chaque fois réglés, le patron n'en sortait pas moins épuisé. Mais, tout cela, je crois qu'il le faisait parce que ainsi il demeurait au courant des affaires, et pouvait protéger ses terres, ses biens et l'usine. Et aussi, pour que le monde tel qu'il l'avait connu puisse durer le plus longtemps possible, alors qu'il devait bien se douter que les changements étaient inéluctables. Si bien que, quand j'y repense aujourd'hui, j'ai cette impression que si notre univers a en partie résisté encore quelques années, c'est grâce à lui. Il tenait les fils de notre destin entre ses mains et tant qu'il tint bon, tout tint, les choses continuèrent de tourner, avec la maison au centre, et le monde autour, avec l'usine qu'il gérait patiemment, avec les orangers et les pins, avec les cueilleurs de pignons perchés au sommet des arbres, avec le va-et-vient devant le portail, avec les bonnes qui passaient la serpillière pieds nus et en chantant à tue-tête quand les patrons étaient absents, avec les lubies de Mado, avec l'élégance de la patronne et avec l'excitante présence de Karine qui, comme toutes les filles de son milieu, était surveillée attentivement, à l'instar de la fille d'un prince promise à quelque altesse et qu'il faut protéger du monde, autorisée à tous les caprices à l'intérieur mais très peu en dehors


Page 119 - Ayn Chir avant la guerre civile
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Lorsque je me suis occupée de tout ruiner, quand ton fils faisait ses bêtises, je pensais que c’était toi que je punissais de ton possible bonheur, et que je défendais l’honneur des miens au prix d’un énorme sacrifice. Mais ce n’était pas un sacrifice, c’était une vengeance. J’ai tout liquidé par vengeance. Je t’en voulais, bien sûr, parce que tu incarnais tout ça, mais c’était d’eux tous, mes parents, ma famille et mes stupides ancêtres, que je me vengeais, sans m’en rendre complètement compte, et aussi de moi-même, en définitive.
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Chaque fois qu'il était question d'évacuer les lieux, Mado affichait une détermination à ne pas bouger qui raidissait Marie et l'attachait encore plus à la villa. Je me demandais alors si les deux femmes ne rivalisaient pas dans cet entêtement mortel parce que aucune d'elles ne voulait laisser à l'autre le bénéfice de veiller sur la maison, de porter la gloire d'y avoir résisté, ou d'y être morte. J'en parlai à Jamilé, qui par ses réponses me parut elle aussi engagée dans cette absurde course à l'héroïsme, surtout lorsqu'elle marmonna que si quelqu'un devait rester, ce n'était ni Marie ni Mado mais bien elle, qui n'avait nulle part où aller.
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Les familles ont parfois une formidable capacité à s'obstiner à croire à l'incroyable et à refouler la vérité pour faire triompher leurs intérêts matériels.
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Non, il pensait au contraire qu'à un moment éphémère de l'histoire insondable du cosmos et de son temps infini, en un point perdu de l'espace, une intelligence et une conscience éphémères, celles des êtres humains, comme un miroir avaient reflété et pensé cette immensité à laquelle aucune autre intelligence n'avait donné d'existence ni de sens et n'en donnera probablement jamais plus.
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Nous dansions sur un volcan, mais nul n'en avait cure, les affaires et l'opulence qui en découlait étaient les seules choses que l'on acceptait de regarder en face, les marchés de la ville absorbaient la production textile locale et l'importation était énorme, la concurrence redoutable pour chacun.
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