Dès les premières lignes
Andreï Makine affirme le thème principal de son roman :
« A cet instant de ma jeunesse, le verbe « vivre » a changé de sens. Il exprimait désormais le destin de ceux qui avaient réussi à atteindre la mer des Chantars. Pour toutes les autres manières d'apparaître ici-bas, « exister » allait me suffire. » (Page 9)
1970 :
Nous sommes dans les territoires les plus sauvages de la Sibérie, un trappeur solitaire (Pavel Gartsev) raconte à un jeune homme (narrateur non nommé) ce qui a changé sa Vie : Il a participé par obligation militaire à la traque d'un fugitif de camp de travail. Cette chasse à l'homme est menée au travers de la taïga par un groupe de cinq militaires. Cette poursuite va réorienter totalement son destin vers « une autre vie ».
1952 :
L'action que lui décrit le trappeur se déroule à l'époque du régime communiste de l'URSS, et on est tout de suite dès la page 12 mis dans les aberrations de ce système : « A la fin de l'année scolaire, notre classe fut coupée en deux et l'annonce tomba : le premier groupe recevrait une formation de grutiers, le second-celle de géodésistes…. »
Je ne décrirai pas cette chasse à l'homme dans la taïga, mais plutôt évoquerai la beauté des paysages que nous fera découvrir
Andreï Makine. On pourra se poser la question : qui est le chasseur, qui est le traqué ? En effet celui qui est devant attend ses poursuivants……Pourquoi ? En parallèle des actions de cette poursuite nous découvrons de sublimes moments de poésie dans la description des territoires traversés. Des mots évocateurs de la Russie de Michel Strogoff où nous avons rêvé de mettre les pieds.
Par moment, comme à l'époque des guerres de tranchées, les deux camps échanges des sentiments de profonde humanité : « Camarade ! Ne reste pas seul, viens boire un verre ! Malgré nos éclats de rire, ce cri nous laissa une étrange tristesse ! Boutov voulut dire un toast, sans doute aussi enjoué que l'invitation adressée à l'évadé………Il a été peut-être calomnié, ce gars. Une délation et, hop, le voilà ennemi du peuple ! Il n'a pas la tête d'un tueur. Sinon il nous aurait tous abattus, hier soûls comme nous étions……Cette nuit-là -je le comprendrais plus tard- nous étions au plus près de ce qu'il y avait en nous de meilleur. »
Cette histoire allégorique démontre comment en quelques semaines un homme peut quitter un monde où il a perdu toutes ses marques et ses certitudes pour vivre une Vie dépouillée des contraintes politiques et matérielles : Doit-on se contenter d'exister ou bien de vivre ?
« Oui, la liberté ! Ils pouvaient m'envoyer dans un camp au régime plus sévère, me torturer, me tuer. Cela ne me concernait pas, car ce n'était qu'un jeu et je n'étais plus un joueur. Pour jouer, il fallait désirer, haïr, avoir peur. Moi, je n'avais plus ces cartes en mains. J'étais libre… »
J'ai lu plusieurs critiques qui mettent en doute la crédibilité du récit. C'est lié souvent au fait qu'il leur parait impossible que les poursuivants n'aient pas réussi à capturer leur « proie » alors qu'ils la suivent à quelques centaines de mètres. J'ai entendu cette opinion aussi dans mon cercle de lecture. Pourtant
Andreï Makine le confirme, cet adolescent c'était lui. "Bien sûr que j'ai rencontré Pavel. J'avais 14 ans", se souvient le romancier aujourd'hui âgé de 59 ans et bientôt à l'Académie française. "L'histoire est réelle", insiste-t-il en rappelant que la taïga fut une terre d'asile pour nombre de fugitifs. (Interview France Info Août 2016)
Une merveille de roman écrit avec des mots ciselés et précis, par moment qui devient rapidement bouleversant et nous interroge fréquemment. Un roman d'une humanité gigantesque. Une perle rare que l'on referme avec tristesse. Merci à
Andreï Makine et au cercle de lecture qui avait programmé ce roman que je n'aurai peut-être pas pu découvrir. C'est en cela que j'aime les cercles de lecture.