Citations sur Kaputt (36)
- L'été? lui avait répondu Mannerheim. En Finlande il y a dix mois d'hiver et deux mois sans été.
Le comte de Foxà posa sur Westmann un regard profondément déçu. «Vous aussi? dit-il. Les hommes du Nord n'aiment que ce que l'Espagne a d'humain. Pourtant, tout ce qui, dans. l'Espagne, est jeune et immortel, appartient à Dieu. Il faut être catholique pour comprendre et aimer l'Espagne, la véritable Espagne, celle de Dieu. Car Dieu est catholique et espagnol.
- Je suis protestant, dit Westmann, et je serais très étonné que Dieu fût catholique. Mais je ne ferais aucune objection à ce que Dieu fût espagnol et serais prêt à l'admettre.
- Si Dieu existe, il est espagnol. Ce n'est pas un blasphème, c'est une profession de foi.
- La guerre est le plus noble des sports, dit Schmeling.
En attendant, chez les officiers et chez les soldats les cas de suicide augmentent d'une manière impressionnante. Himmler est venu ici en personne pour tâcher de mettre fin a cette épidémie de suicides. Il va faire arrêter les morts. Il va les faire enterrer les mains liées. Il imagine pouvoir empêcher les suicides par la terreur. Hier il a fait fusiller trois Alpenjäger qui avaient tenté de se pendre.
[Suite au bombardement de la cathédrale de Naples, un homme répond une rumeur suivant laquelle la châsse contenant les fameuses reliques de Saint Janvier aurait été détruite]
Un mot sortit clairement de sa bouche: « O’ sangre ! ». Je reculai, surpris et apeuré. Ce mot me répugnait. Pendant quatre ans, un mot terrible, cruel et dégoûtant, un mot allemand « Blut, Blut, Blut ! » avait frappé mon oreille comme le glouglou d’une eau gargouillant d’un tube: « Blut, Blut, Blut ! ». Maintenant ce même mot en italien, « sangre », m’inspirait de la peur et du dégoût, me donnait la nausée. Mais, dans cette voix, dans cet accent, il y avait une résonance qui me parut merveilleuse. C’était un mot doux…
Ce qui pousse l’Allemand à la cruauté, aux actes les plus froidement, les plus méthodiquement, les plus scientifiquement cruels, c’est la peur des opprimés, des désarmés, des faibles, des malades; la peur des vieux, des femmes, des enfants, la peur des Juifs. Bien qu’il s’efforce de cacher cette peur mystérieuse, il est fatalement amené à en parler et toujours aux moments les plus inopportuns. A table en particulier (…)
Pourquoi ne déclarent-ils pas aussi la guerre aux mouches à Naples ? Dans le nord de l'Italie, à Milan, à Turin, à Florence, même à Rome, les municipalités se sont organisées pour lutter contre les mouches. Il n'y a plus une seule mouche dans ces villes.
Il n'y a plus une mouche à Milan ?
Non, pas une mouche. Nous les avons toutes exterminées. C'est une mesure d'hygiène, elle évite les infections et les maladies.
Eh bien, même à Naples, nous avons combattu les mouches, nous leur avons même déclaré la guerre. Nous faisons la guerre aux mouches depuis trois ans maintenant.
Alors comment se fait-il qu'il y ait autant de mouches à Naples ?
Et que puis-je dire, Monsieur, les mouches ont gagné !
Aucun vin n’est aussi terrestre que le rouge vin de Bourgogne ; dans le reflet blanc de la neige, il avait la couleur de la terre, cette couleur pourpre et or des collines de la Côte-d’Or au coucher du soleil. Son souffle était profond, parfumé d’herbes et de feuilles comme un soir d’été bourguignon. Et aucun vin n’accompagne aussi intimement l’approche du soir que le vin de Nuits-Saint-Georges, n’est autant l’ami de la nuit que le vin de Nuits-Saint-Georges, nocturne jusque dans son nom, profond et semé d’éclairs comme une nuit d’été en Bourgogne. Il brille d’un éclat sanglant au seuil de la nuit comme, au bord cristallin de l’horizon, le feu du couchant. Il allume des lueurs rouges et bleues dans la terre couleur de pourpre, dans l’herbe et dans les feuilles d’arbres, encore chaudes des saveurs et des arômes du soleil mourant. Les bêtes sauvages, à la tombée de la nuit, s’acagnardent profondément dans la terre, le sanglier rentre dans sa bauge avec des claquements précipités de branchages, le faisan au vol court et silencieux nage dans l’ombre qui déjà flotte au-dessus des bois et des prés, le lièvre agile se laisse glisser sur le premier rayon de la lune comme sur une corde raide d’argent. C’est là l’heure du vin de Bourgogne.
À ce moment-là, par cette nuit d’hiver, dans cette pièce éclairée du lugubre reflet de la neige, l’odeur profonde du Nuits-Saint-Georges nous rappelait le souvenir des soirées d’été en Bourgogne, des nuits endormies sur une terre encore chaude de soleil. (p. 300-301)
Folio page 409
« Connaissez-vous l’origine du mot kaputt ? C’est un mot qu’il vient de l’hébreu koppâroth, qui signifie victime. »
La mer m'émut, je me suis mis à pleurer. Ni fleuve ni plaine ni montagne — pas même un arbre, pas même un nuage — rien ne donne autant l'idée de la liberté que la mer. La liberté même ne donne pas autant l'idée de la liberté que la mer.