Il y a un siècle, fin octobre 1922, le jeune journaliste Kurt-Erich Suckert participait à la Marche sur Rome de Mussolini. L'homme est mieux connu comme
Curzio Malaparte (le contraire de "Bona-parte" ou mauvais côté), né le 9 juin 1898 en Toscane à Prato (près de Florence) de père allemand et mère italienne. Mort à Rome, 59 années plus tard, le 19 juillet 1957, il restera avant tout célèbre comme l'auteur de 2 best-sellers mondiaux : "
Kaputt" en 1943 et "
La peau" en 1949.
"
Le Bal au Kremlin", paru en Français en 1985, est une des oeuvres laissées inachevées par l'auteur, qui, selon son traducteur Nino Frank, portée à son terme, "serait devenue une oeuvre aussi explosive" que les chefs-d'oeuvre cités.
Voyons voir si Frank a raison.
Le récit commence à Moscou, où l'auteur, la trentaine en 1928, s'est rendu dans son "enthousiasme juvénile" pour voir de près les héros de la révolution communiste d'octobre 1917.
Il s'y trouve plus précisément à une soirée à l'ambassade britannique en compagnie de Natalya Rozenel, l'épouse d'Anatoli Lounatchanski le commissaire du peuple à l'éducation, avec qui il discute si oui ou non l'oeuvre de
Jean Giraudoux "pourrait éduquer les ouvriers" de l'URSS, tout en admirant Marina Semionova (1908-2010, morte 2 jours avant ses 102 ans), la Première danseuse du Grand
Théâtre de l'Opéra de Moscou, qui cherche son amant, le diplomate bolchevique d'origine arménienne, Lev Karakhan (1889-1937), surnommé le Prince Noir.
C'est peu après, au
Théâtre Bolchoï, où il voit
Joseph Staline et le président de l'Union Soviétique, Mikhaïl Kalinine (1875-1946), qu'il apprend la disparition du bras droit de
Lénine, Lev Kamenev, né Rosenfeld en 1883, le mari d'Olga Bronstein (la soeur de Trotski) et exécuté, grâce aux bons soins du tsar rouge, le 25 août 1936, à l'âge de 53 ans.
C'était l'époque où le trône au Kremlin d'Iossif Vissarionovitch Djougachvili, dit Staline (de "stal" ou acier) "était entouré par la nouvelle noblesse marxiste, par ce clan avide, féroce et dissolu de boyards communistes, de parvenus et de profiteurs de la révolution, de danseuses, de comédiennes, de merveilleuses prolétariennes qui avaient pris la place de l'aristocratie de l'ancien régime, et qui bientôt, après des procès terribles et mystérieux, tomberaient dans la cour de la Loubianka (siège du KGB et prison) sous le plomb des pelotons d'exécution. "
Je m'excuse auprès de mes ami-e-s Babelionautes pour cette plutôt longue citation (de la page 85), mais je pense qu'elle résume de façon splendide l'impression que la nomenclature bolchevique avait faite sur ce toujours jeune reporter qui venait cependant déjà de renier ses sympathies fascistes d'adolescent impatient.
Il est vrai aussi que, tout en restant prudent, je peux affirmer que la personnalité de l'auteur était loin d'être simple et me permets de vous renvoyer à son excellente biographie par Enzo R. Laforgia "
Malaparte, scritore di guerra" de 2010 et le Cahier de l'Herne "
Malaparte" de 2018.
Je trouve, par ailleurs, que ma citation répond parfaitement à ma question du début : Nino Frank a raison !
Il s'agit d'un ouvrage relativement court (de 179 pages), qui se lit très vite tout en étant fort instructif.
Il est passionnant d'observer ce monde tout à fait particulier de ces révolutionnaires victorieux à leurs débuts à travers les yeux d'un observateur sceptique et critique, qui ne mâche pas ses mots.
En prime, vous avez droit à des rencontres hautement littéraires avec
Mikhaïl Boulgakov (1891-1940), l'auteur de l'inoubliable chef-d'oeuvre "
Le Maître et Marguerite" de 1940 et avec le poète mémorable
Vladimir Maïakovski, peu avant son suicide le 14 avril 1930, à l'âge de seulement 36 ans.