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Critique de Charybde2


En analysant notamment la substitution de l'hydraulique par le charbon dans l'industrie cotonnière britannique et le développement forcené du charbon indien, une brillante et solide démonstration historique de la responsabilité du capital dans le réchauffement climatique, plutôt que celle de la trop vague « espèce humaine ».

Sur le blog Charybde 27 : https://charybde2.wordpress.com/2024/03/05/note-de-lecture-lanthropocene-contre-lhistoire-le-rechauffement-climatique-a-lere-du-capital-andreas-malm/

Alors qu'il y a encore des sceptiques, sincères ou non, pour douter de la notion même d'anthropocène et d'impact décisif de certaines activités humaines sur le climat, les gens sérieux se soucient depuis déjà quelque temps de contribuer à mieux orienter l'effort indispensable de freinage et de correction, en introduisant une distinction essentielle (certains auteurs utiliseront pour cela le terme plus précis de capitalocène). Ce n'est pas l'espèce humaine prise dans son ensemble qui a déversé et déverse un volume ahurissant de CO₂ dans l'atmosphère, mais bien une fraction de l'espèce : celle qui a créé ou hérité les leviers d'investissement dans les technologies fossiles, et qui se bat sans douceur aucune pour la défense du capital accumulé (et du droit de le faire fructifier sans retenue) en relation à elles.

Le chercheur et activiste suédois Andreas Malm, qui s'est acquis une notoriété méritée désormais avec son essai tonique de 2020, « Comment saboter un pipeline », fait partie depuis longtemps déjà de ces gens sérieux. Reposant sur des articles précédemment publiés (« Les origines du capital fossile » dans Historical Materialism en 2013, « Qui a allumé ce feu ? » dans Critical Historical Studies en 2016 et « La catastrophe imminente et les moyens de la conjurer » dans Socialist Register en 2016 également), remaniés et réagencés, le présent ouvrage a été publié en 2016, et traduit en français en 2017 par Étienne Dobenesque pour La Fabrique. Il s'attache précisément à une démonstration argumentée de la responsabilité spécifique des détenteurs du capital dans le triomphe non maîtrisé de l'énergie fossile d'une part, et dans sa redoutable persistance d'autre part, en mobilisant aussi bien les ressources de la recherche historiographique la plus pointue que les détours fictionnels permettant de jauger les emprises et les désincarcérations possibles de l'imaginaire fossile – et en renvoyant au passage les grands récits de nombreux méga-vulgarisateurs, même inspirés, à leurs biais idéologiques profonds.

Parcourant avec détermination les études du « climat dans l'histoire » pour approcher « l'histoire dans le climat », l'ouvrage opère les rapprochements nécessaires entre diverses études longtemps disjointes (celle sur le développement du charbon en Inde par le colonisateur britannique est particulièrement, si l'on ose dire, lumineuse – et on aura au passage une pensée émue pour le Jules Verne des « Indes noires »), renvoie habilement dos à dos ExxonMobil et le stalinisme extractiviste, montre patiemment comment le charbon l'emporte sur l'hydraulique au début du XIXe siècle pour des raisons qui tiennent bien davantage au contrôle social et à la maîtrise des mouvements ouvriers qu'à des vertus économiques directes (pourtant mises en avant, y compris jusqu'à aujourd'hui), tangente les réflexions de Paul Virilio et de Zygmunt Bauman sur la recherche capitaliste de liquidité et de fluidité, et se penche aussi sur les imaginaires du capital fossile par le biais rusé des romans de Ghassan Kanafani (son « Des hommes dans le soleil » de 1962 tout spécialement), du « Dans la lumière » de Barbara Kingsolver ou du « Solaire » de Ian McEwan (dont il montre les points aveugles que Mark Bould détaillera, avec bien d'autres, dans son « The Anthropocene Unconscious » de 2021, dont on vous parlera prochainement sur ce blog), ou même du « Typhon » de Joseph Conrad, en un magnifique exercice de transition énergétique comparée. À la recherche de moyens techniques et politiques de conjurer la catastrophe annoncée, il rejoint largement, dans ses analyses comme dans ses intuitions, des mises en scène aussi nécessairement radicales que celles du « Ministère du Futur » de Kim Stanley Robinson (car, peut-on y lire en substance, le temps de la « Trilogie climatique » est désormais largement écoulé). Et c'est ainsi que « L'anthropocène contre l'histoire », brillant et documenté, est un ouvrage particulièrement précieux en ces temps de brume encore et toujours entretenue par les tenants du « business-as-usual ».
Lien : https://charybde2.wordpress...
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