Les camions de froid s’ébranlent tôt matin
dans les ruelles grises.
Les coqs ont chanté mais si loin, si loin,
et la gorge prise.
Je t’imagine, comme je t’ai vue souvent,
devant la fenêtre
ta tasse à la main, de café brûlant,
et ta cigarette,
et rien que je puisse dire ou faire
pour te soustraire
à l’ombre de tes pensées,
fleurs fanées, solitaire
même dans tes plus belles années.
Je n’oublie pas que tu fus celle
que j’ai aimée,
la seule,
mais rien que je puisse dire ou faire
pour t’enlever.
Ma présence était secondaire,
c’était en toi.
Je me souviens que tôt matin
tu te levais
pour regarder passer
dans la rue en bas
les camions de froid.
Si mon enfant tu sors ce soir
Prends ton manteau dans le couloir
Et prends mon amour pour escorte
Car il se peut que cette porte
Derrière laquelle ton pas décroît
Ne soit pas celle que tu crois.
Le malheur, c’et que rien ne dure. On grimpe tout là-haut au sommet sans s’en rendre compte, on décolle, on s’envole, et puis après il y a la chute.
L’absence laisse le champ libre à l’imaginaire, le désert aux mirages.
Il a dit que cette attente était devenue intolérable. C’était ça, à présent, le véritable poison qui le rongeait. Plus que la maladie. Plus que l’idée même de mourir. Il a dit qu’ils étaient deux à en souffrir. Il y avait lui et il y avait Lauren. Et la souffrance ne se partage pas : elle s’accumule.
La mémoire est un curieux phénomène. Arbitraire. Aléatoire. J’ignore en fonction de quels critères se fait la sélection. Certains passages demeurent, des images, dans leurs moindres détails, alors que d’autres, qui me semblent pourtant essentiels, me sont totalement sortis de l’esprit.
Y a des fois où la vie est trop compliquée à comprendre. Trop lourde. Ça pèse. Ça fait peur.
Dans ma tête. Je ne sais pas pourquoi. Y a cette espèce de colère qui est entrée en moi et qui ne m’a plus quitté, une colère sourde, comme un truc qui me bloquait le souffle, ça me gênait pour respirer. On ne peut rien y faire. C’est dur d’avoir tout cet amour juste là sous son nez et de ne pas pouvoir y toucher. De ne pas en avoir sa part. C’est très dur.
Nous n'avons plus jamais fait l'amour, elle et moi. Depuis maintenant quatre ans. Au début, tout paraît indécent. Les actes les plus communs, les plus naturels : manger, boire, dormir, se laver, se brosser les dents, comment peut-on encore se préoccuper de ces choses -là quand son enfant, notre enfant aimé et chéri est allongé tout seul sous la terre dans le froid et l'obscurité ? Comment peut-on encore aller au supermarché et lire son journal et cirer ses chaussures et admirer des paysages ? Je ne sais pas de quoi nous sommes faits. Respirer est indécent. Vivre, continuer à vivre est indécent. Rire est un sacrilège. Et aimer... (p. 65)
C'est pas de passer ma vie tout seul, qi m'angoisse, c'est de la passer sans toi. (p. 26)