Le corps d'une petite fille assassinée au milieu de la campagne. Si elle avait été blanche, la police serait intervenue.
Mais non, elle est noire, pas de souci.
Bien sûr officiellement, les droits civiques devraient être respectés. Sauf qu'en Alabama, comme au Mississipi et en Géorgie, les lois ségrégationnistes Jim Crow ont pris le pouvoir : on veut bien concéder que l'esclavage soit aboli, mais il ne faut pas exagérer : droit de vote, non, quand même, droits d'égalité, cela voudrait vraiment dire que Blancs et Noirs seraient égaux ! Non, mais ! ou bien égaux, alors, d'accord, mais séparés, de toute façon, dans les restaurants, les bus, les toilettes… et les écoles.
Et les femmes noires sont les bonnes à tout faire des blanches : elles nettoient leurs latrines, mais n'y ont pas accès. Elles promènent leurs chiens à l'entrée des parcs où elles ne peuvent accéder.
Adela en rit : les chiens peuvent chier là où les Blancs se promènent. Elle regarde le panneau « White only », « et ne put s'empêcher de sourire en songeant qu'à cause de leurs fichues lois c'est forcément un Blanc qui finirait par marcher dans la merde du chien ».
Dans ce quartier blanc de Birmingham, début août 1963, toute révolte est inutile, et accepter de déroger à la règle, comme par exemple recevoir un cadeau d'une blanche, ou qu'elles prennent un café ensemble, ne peut que conduire à sa perte, Adela en est parfaitement consciente.
Ceci début août, parce que le 28,
Martin Luther King lancera son «
I have a dream » qui changera les consciences.
A Montgomery,
Rosa Parks avait refusé de céder sa place de bus à un Blanc, il y a huit ans, précédée par d'autres femmes courageuses ; Adela, elle, reçoit les camouflets des Blancs, c'est comme ça. « On en avait pendu pour moins que ça. Elle allait devenir l'un de ces « fruits étranges » que chantait
Billie Holiday. »
Entre temps, Bud, détective alcoolique perdu dans l'alcool, sans boulot, reçoit la visite des parents qui recherchent leur fille, et les regarde, hagard. « Comme si aucun Noir n'était jamais entré dans son bureau. Ce qui était le cas, d'ailleurs. »
Renvoyé de la police, il survit de bouteille en bouteille, et ne se rend même pas compte, parce qu'il a vraiment très soif, que son foutoir va être nettoyé par Adela, recrutée par hasard par un de ses ex-collègues.
S'il veut avoir l'air de chercher l'assassin de la petite, il lui faut l'aide d'une Noire, sinon, les portes se ferment, et une chose est sûre, le meurtrier ne peut qu'être Noir. Voleurs, menteurs, et assassins, d'autant qu'au premier meurtre, s'en ajoute d'autres. Il n'invente rien, il sait.
Pourtant, il accepte qu'Adela l'aide, pourtant, elle l'aide, Adela.
En cela aidée par une vieille dame, celle qui voulait lui offrir du café, preuve qu'elle n'avait plus toute sa tête, et qui parle sans queue ni tête… mais cependant, oui, ses mots aident, elle n'est pas si folle.
Le racisme ordinaire, dans sa pauvreté, sa haine et ses idées reçues, énoncées brutalement, et aussi avec humour, distance prise tout en étant dedans, dans l'ordinaire des croyances, pour produire un livre bluffant, unique dans son genre, émouvant et grandiose, bouleversant par ses simples dialogues.
L'ordinaire de la haine, si misérablement facile lorsque l'on se croit du bon côté. le courage, pour Adela, consiste à sortir par la grande porte, et non celle de service, quand elle donne sa démission ; il consiste à entrer dans le parc « White only » devant les yeux médusés de deux pauvres commères blanches, et à se rouler dans l'herbe.
Ne nous réjouissons pas trop vite : l'ombre du Ku Klux Klan qui fait brûler une croix devant la maison où Adela a reçu Bud pèse et continue à peser.