Le succès populaire d'un roman garantit-il sa qualité et qu'il sera apprécié par tout un chacun ? Si pour vous la réponse est oui, alors passez votre chemin, sinon restez avec moi le temps de ces quelques lignes, inspirées par la lecture du roman superstar «
Alabama 1963 » !
Birmingham, 1963. Une petite fille noire est retrouvée morte dans un parc, après quelques jours d'une disparition qui n'auront pas franchement ému les forces de l'ordre. Pourtant,
John Fitzgerald Kennedy a été élu deux ans auparavant sur de belles promesses, d'égalité raciale notamment, et le soubresaut du mouvement civique organisé par
Martin Luther King se prépare. Un détective privé, Bud Larkin, qui ne sort jamais de chez lui sans deux grammes dans le sang, ce qui lui permet de rigoler avec ses anciens collègues policiers sur les « bonnes » (sic) blagues racistes du moment, est pourtant engagé par les parents de la fillette pour résoudre l'enquête. Voyant bien qu'il n'arrivera pas à progresser puisqu'il se retrouve à chaque fois devant une porte close, les personnes noires ayant bien compris qu'il valait mieux se tenir loin de leurs homologues blancs, il entraîne sa femme de ménage noire, Adela Cobb, dans son enquête…
J'aurais peut-être pu apprécier «
Alabama 1963 » si je ne venais pas de terminer la lecture de «
Prends ma main », de
Dolen Perkins-Valdez (et j'aurais encore pu plus l'apprécier si je l'avais lu juste après « Un long, si long après-midi » d'
Inga Vesper, son ersatz en encore moins bien – au moins j'ai mieux compris les critiques faites à son encontre) : les deux romans se passent dans la même zone géographique, au même moment, et parlent tous les deux de la violence systémique à l'encontre des personnes noires. Si chez
Dolen Perkins-Valdez elle est plus larvée et met surtout l'accent sur le parcours d'une jeune femme noire témoin direct des événements certes, mais issue d'une catégorie sociale aisée, ce qui l'a un peu protégée, chez
Ludovic Manchette et
Christian Niemec, la violence à l'égard des Africains-Américains est plus directe et permanente : Adela est humiliée par la plupart des femmes chez qui elle fait le ménage, avant de l'être par l'Etat quand il s'agit d'une chose en apparence aussi anodine que prendre le bus. Et même dans ses activités personnelles, elle est surveillée par le Ku Klux Klan. En cela, faire prendre conscience de la difficulté d'être une personne de couleur en Alabama dans les années 1960, l'ouvrage est réussi.
Mais c'est bien le seul aspect : le contexte historique des mouvements civiques n'est pas vraiment abordé, alors que les auteurs ont pourtant situé l'action à Birmingham, son berceau historique. Cela peut se comprendre puisqu'il ne s'agit pas d'un roman historique, mais j'ai surtout eu l'impression que la minorité noire était transcrite dans le roman comme uniquement opprimée et pauvre (les femmes noires à l'époque n'étaient pas toutes femmes de ménage ou nounous !). Nous sommes dans un roman policier me direz-vous. Très bien, mais dans ce cas, où est l'enquête ? Pas chez Bud Larkin, qui se contente de quelques balades dans les quartiers sans vraiment (se) poser de questions, sans même tenter de rassembler quelques preuves, ça traîne, bref, il n'y a pas d'enquête (il faudrait peut-être être sobre pour cela et ne pas être le cliché ambulant de l'ivrogne. Mais Bud Larkin a une bonne raison – cliché elle aussi – qui nous sera dévoilée avec les violons habituels). Si bien que dans le dernier tiers de l'ouvrage, comme les auteurs ont compris que leur enquêteur ne trouverait jamais le coupable puisqu'il est bien trop occupé à se mettre minable, ils se sont dit qu'ils allaient l'aider : déjà en nous révélant son identité, comme ça c'est fait, puis en mettant Larkin sur la voie grâce aux prédictions d'une voyante. Rien que ça… ! Mais heureusement les bons sentiment règnent, puisqu'au contact d'Adela, il se rend compte que les personnes noires sont des vraies personnes, et il se remet en cause dans son racisme. Si au moins c'était bien écrit, ç'aurait pu plus tenir la route. Déception sur toute la ligne.