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Citations sur De la curiosité (30)

Écrire fait partie d’un groupe d’arts évocateurs liés à la visualisation et à la transmission d’idées, d’émotions et d’intuitions.
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J’étais déjà bien engagé dans l’adolescence quand j’ai pris conscience du concept de traduction.[...]. Le même conte de fées des frères Grimm lu dans mes deux langues différentes devenait deux contes de fées différents : la version allemande, imprimée en gros caractères gothiques et illustrée de sombres aquarelles, me racontait une histoire ; la version anglaise, avec ses caractères grands et clairs accompagnés de gravures en noir et blanc, en racontait une autre.
Manifestement, c’étaient deux histoires différentes, puis qu’elles ne se ressemblaient pas sur la page.

Je finis par m’apercevoir que, sous ces différences, le texte demeure essentiellement le même. Ou, plutôt, qu’un texte peut acquérir diverses identités dans diverses langues, selon un processus dans lequel chacune des parties constituantes est écartée et remplacée par autre chose : vocabulaire, syntaxe, grammaire et musique, ainsi que caractères culturels, historiques et émotionnels.

Dans "De vulgari éloquentia", traité linguistique rédigé en latin mais défendant l’usage de la langue vernaculaire, Dante énumère les éléments constitutifs du langage qui sont remplacés au passage d’une langue à l’autre : “D’abord la composante musicale, deuxièmement la disposition de chaque partie par rapport aux autres, troisièmement le nombre de vers et de syllabes.”
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D’un bout à l’autre de nos histoires enchevêtrées, certains récits ont eu ce don de réapparaître sous différentes formes ou variations ; on ne peut jamais savoir avec certitude quand une histoire a été racontée pour la première fois, on sait seulement que ce ne sera pas la dernière.
Avant la toute première relation de voyage, il doit avoir existé une Odyssée dont nous ne savons rien et, avant le premier compte rendu d’une guerre, une Iliade doit avoir été chantée par un poète encore plus imprécis pour nous qu’Homère.
Comme l’imagination est, nous l’avons dit, le moyen grâce auquel notre espèce survit en ce monde, et puisque nous naissons tous, pour le meilleur ou pour le pire, avec “l’ardeur” d’Ulysse et que les histoires sont, depuis les toutes premières soirées autour d’un feu de camp, notre façon d’utiliser cette imagination pour nourrir cette ardeur, nulle histoire ne peut être originale ou unique.
Toutes les histoires ont un goût de “déjà lu”. L’art de conter, qui semble n’avoir pas de fin, n’a en réalité pas de commencement.
Parce qu’il n’existe pas de première histoire, les histoires nous apportent une sorte d’immortalité rétrospective.
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« J’ai eu deux chiens dans ma vie (bien que le verbe "avoir", qui implique la possession, relève de l’impair épistémologique). Le premier [...] était un bâtard intelligent, fougueux, joueur et vigilant, et faisant montre, dans notre parc, à Toronto, d’une sociabilité enthousiaste vis-à-vis de ses semblables. La seconde, Lucie, est une intelligente, douce et affectueuse chienne des montagnes bernoises, qui vit avec nous en France. Ces deux chiens m’ont changé: leur présence m’a obligé à me considérer moi-même en dehors des limites de mon univers intérieur sans tomber dans les rituels sociaux exigés par les rapports humains. Des rituels existent, bien sûr, mais ils ne sont que de surface, se contentant de déguiser l’espèce de nudité que je ressens quand je suis avec ma chienne. En sa présence, j’éprouve une obligation de sincérité envers moi-même, comme si le chien qui me regarde dans les yeux était un miroir révélateur de quelque mémoire instinctuelle enfouie. "Les Indiens Bella Coola [écrit Barry Lopez dans Of Wolves and Men] croyaient que quelqu’un avait un jour essayé de changer tous les animaux en hommes mais n’avait réussi à rendre humains que les yeux du loup." [...]

Lucie sait écouter. Elle reste assise sagement quand je lui fais la lecture du livre, quel qu’il soit, dans lequel je suis plongé à ce moment-là, et je me demande ce qui retient son attention quand elle entend ce flot verbal: La tonalité de ma voix ? Le rythme des phrases ? L’ombre d’une signification au-delà des quelques mots qu’elle comprend ? "Autoriser le mystère, se dire : Il pourrait y avoir plus, il pourrait y avoir des choses que nous ne comprenons pas, dit Lopez, ce n’est pas condamner le savoir." »
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l’ange gardien du Purgatoire inscrit sur le front de Dante, de la pointe de son épée, les sept P des sept péchés capitaux (Peccati). Dante ne peut les voir lui-même, mais au fur et à mesure qu’il gravit la montagne, corniche après corniche, un P après l’autre est effacé, jusqu’à ce que son front soit lavé quand Dante atteindra le sommet, où se trouve le jardin d’Éden. L’inscription des P et leur effacement progressif font partie d’un rituel obligé qui doit être accompli avant l’ascension proprement dite. Devant l’entrée se trouvent trois marches qui représentent (selon certains commentateurs) la contrition du cœur, la confession des péchés, l’expiation par les œuvres ; au-delà, c’est la rude montée au cours de laquelle l’âge prévient Dante qu’il ne doit pas regarder en arrière. Faisant écho à l’avertissement donné à la femme de Loth, il ordonne à Dante de ne pas regretter les anciennes mœurs coupables :
 
Entrez, mais je vous avertis
que celui qui regarde en arrière doit sortir.

Les P sur le front de Dante, que lui-même ne peut lire mais qu’il sait être là, matérialisent les mots de la mise en garde.
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Le mode interrogatif comporte l’attente, pas toujours satisfaite, d’une réponse : si incertain soit-il, c’est le premier instrument de la curiosité. La tension entre la curiosité qui mène à la découverte et la curiosité qui mène à la perdition s’insinue dans toutes nos entreprises. La tentation de l’horizon est toujours présente et même s’il est vrai, comme le croyaient les anciens, qu’au-delà du bout du monde un voyageur tomberait dans l’abîme, nous ne nous abstenons pas d’explorer, ainsi qu’Ulysse le dit à Dante dans La Divine Comédie.
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Nous scrutons les écrans de nos gadgets électroniques avec l'intensité et la constance d'un Narcisse contemplant l'eau de la mare, nous attendant à nous retrouver restaurés ou affirmés dans notre identité, non par le monde qui nous entoure, non par les rouages de notre vie intérieure, mais par les messages souvent ineptes de tiers qui admettent virtuellement notre existence tandis que nous admettons virtuellement la leur.
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Comme tout visiteur de Venise, Bomberg devait avoir été frappée par sa structure marquetée et convolutée. Qu'elle ait été inspirée par la ville elle-même avec son réseau de canaux et d'îles, ou par le ghetto enclavé, vu comme un microcosme de l a configuration urbaine générale, il paraît vraisemblable que, consciemment ou inconsciemment, l'imagination de l'imprimeur ait reproduit sur la page les contours labyrinthiques du lieu où il s'était installé. Tournez de côté un plan de Venise et de son ghetto et quelque chose d'apparenté aux pages du Talmud apparaît, avec ses lignes nettes tordues et brisées comme une image dans un rêve. La cité singulière, irréelle, que découvre tout visiteur est ainsi reflétée dans un livre qui est, comme la ville, un commentaire de l'œuvre de Dieu : la glose de la Torah dans le Talmud reflète la glose par Venise du livre de la Nature. De même que le Talmud entoure d'annotations savantes la parole confiée à Moïse pour le peuple, la Venise de feu et d'air est entourée par la terre et l'eau de Dieu, qui commentent les palais flamboyants flottant entre terre et mer avec l'haleine émue d'un présentateur ravi.
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Lire est un art qui ne peut jamais être pleinement accompli. Même si chaque syllabe d'un texte devait être analysée et interprétée dans son intégralité, le lecteur obstiné se retrouverait en présence des lectures de ses prédécesseurs qui, telles les traces d'animaux dans les bois, forment un nouveau texte dont le récit et le sens lui sont également accessibles. Et même si cette deuxième lecture était un succès, resteraient toujours les textes formés par les lectures de ces premières lectures, commentaires des commentaires et gloses des gloses - et ainsi de suite jusqu'à ce que le dernier vestige de sens ait été entièrement examiné.. La fin d'un livre, c'est un vain espoir.
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Nous savons peu de choses de l'esthétique d'Outre Tombe.
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