- J'ai une question, dit Wallander. Une question personnelle. Ca doit faire horriblement mal de mourir brûlé?
- C'est une chose qu'on sait depuis la nuit des temps. Le feu a toujours été le pire des châtiments ou des supplices qu'on puisse infliger.[...] Les douleurs sont pires que tout ce qu'on peut imaginer. En plus, on ne perd pas connaissance aussi vite qu'on pourrait le souhaiter. L'instinct de fuir les flammes l'emporte sur la volonté d'en finir avec la souffrance. C'est pour ça que le cerveau empêche l'évanouissement. Puis, on arrive à un palier. Pendant un instant, les nerfs brûlés deviennent insensibles. On a des exemples de brûlés à 90% qui ont eu un court instant le sentiment de ne pas être blessés.
Mais quand l'insensibilité cesse...
Il y a un paradis caché dans chaque recoin de ce monde. Pour le découvrir, il suffit d'avoir les yeux ouverts. Mais peut-être voit-on également les corbillards invisibles qui glissent le long des routes.
__Chez les gens qui commettent des actes de violences répétés, il y a presque toujours immaturité ou perturbation affective , dit Ekholm. Il leur manque la capacité de s'identifier avec les valeurs d'autrui. C'est pour cela qu'ils ne réagissent pas non plus à la douleur qu'ils infligent aux autres.
Il se leva et sentit une douleur dans ses genoux. Le temps où il pouvait s’accroupir impunément était loin.
Un guerrier, se dit-il. Un guerrier d'un peuple primitif.
Il sut tout de suite qu'il avait raison. L'homme qu'ils recherchaient était un guerrier solitaire qui suivait le sentier invisible qu'il s'était choisi. Il imitait. Tuait à coups de hache, découpait des scalps, se déplaçait pieds nus. Pourquoi un indien se déplaçait au beau milieu de l'été suédois et tuait-il des gens? Qui tuait les gens en fin de compte? L'indien ou celui qui jouait son rôle?
Wallander alla à sa fenêtre.
Quelque chose continuait de l'inquiéter.
L'idée qu'il était malgré tout sur une fausse piste.
Qu'est-ce qu'il ne voyait pas?
Il se retourna et regarda dans son bureau comme s'il était entré un visiteur invisible.
C 'est comme ça, se dit-il. Je poursuis un fantôme. Alors que je devrais rechercher un être vivant. Qui se trouve peut-être chaque fois dans un endroit différent de celui où je regarde.
Il demeura dans son bureau à étudier le dossier jusqu'à minuit.
Ce n'est que lorsqu'il quitta le commissariat qu'il se rappela le tas de linge sale resté sur le sol de son appartement.
il souriait.
Un sourire de vieil homme.
Qui avait le bonheur de pouvoir ressentir, une fois encore dans sa vie, une joie d’enfant.
Nous ne croyons pas au miracle. Mais si jamais il s’en produit un de temps en temps, nous ne sommes pas contre.
La barbarie a toujours un visage humain, se dit-il. C'est ça qui la rend tellement inhumaine. Il avait lu ça quelque part. Il savait maintenant que c'était vrai.
Wallander finit par briser le silence. Certains des enquêteurs présents n'oublieraient jamais ses mots.
- Nous savons donc maintenant avec certitude ce que nous aurions aimé ne pas savoir.
Le bref instant de stupeur était passé. Les enquêteurs reprirent leurs activités et leur attente. On prendrait plus tard le temps de la réflexion.