Citations sur La langue géniale : 9 bonnes raisons d'aimer le grec (34)
Ceux qui ont connu la rare grâce d'aimer vraiment sauront toujours distinguer la différence d"intensité et de respect qu'il y a entre penser "nous deux" et penser "nous" ; mais ils ne savent plus le dire. Pour le dire, en effet, il leur faudrait le duel du grec ancien.
Les langues venues après n'ont fait que dissiper l'héritage accumulé dans les greniers linguistiques et intellectuels de l'indo-européen, en pensant faire des économies - le principe d'économie, c'est précisément ainsi que l'on appelle en linguistique la simplification et donc la banalisation de la langue.
Comme le dit Xénophane, tout Grec a appris à être un Grec (AOC) en ses us et coutumes, et à se distinguer de ceux qui n'étaient pas Grecs, chez Homère, dans la multitude et la variété d'obligations sociales (ainsi que d'interdits, naturellement) contenues dans l'Iliade et l'Odyssée : le manuel pratique par excellence de l'être humain et grec, et de la grécité en son entier.
Oui, ce livre parle avant tout d'amour : l'amour pour une langue, mais surtout envers ceux qui la parlent, ou, si personne ne la parle plus, envers ceux qui l'étudient parce qu'ils y sont contraints ou bien parce qu'ils sont irrésistiblement attirés par elle.
Ce qui est certain, c'est que lorsqu'une langue devient la langue de tous, elle devient en réalité la langue de personne.
[Les Grecs] se comprenaient parfaitement entre eux, peut-être mieux même que nous ne nous comprenons nous, qui trop souvent ne nous comprenons pas.
Et pourtant il arrive bien souvent que nous ne connaissions même pas notre langue, alors inutile de parler d'une autre, qu'elle soit morte ou vivante. Combien de fois me suis-je surprise à dire durant toutes ces années en tant qu'helléniste : « Mais je ne sais même pas ce que ça veut dire en italien ! »
« Nous ne saurons jamais avec certitude comment on prononçait un mot grec. Les sons du grec ont disparu pour toujours avec ses locuteurs. Nous possédons les textes littéraires, nous pouvons les lire, les étudier, mais non les prononcer. Ils nous sont parvenus muets. Ou plutôt réduits au silence. Sans voix. »
« L’homme, la femme. Le ciel, la terre, la mer. La bouche, la pensée. L’arbre, le fruit. Le grec ancien avait une façon intense de donner au monde un visage. Une manière d’aller chercher la nature très loin sous la surface des choses. En dehors des genres féminin et masculin avec lesquels nous choisissons d’exprimer la vie dans nos langues, le grec possédait un genre en plus : le neutre. »
Pour qui [a étudié le grec] au lycée ou à l'université, ce sera peut-être comme recevoir la réponse à des questions qui n'ont jamais été posées. Ce sera plus qu'un exercice de liberté linguistique - ce sera peut-être une libération linguistique. Pour certains, une révolution. Pour tous, une sorte de remboursement tardif pour toutes ces années passées à apprendre les verbes par cœur sans même en comprendre le sens.