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Citations sur La langue géniale : 9 bonnes raisons d'aimer le grec (34)

Je me vois donc dans l'obligation de vous raconter l'un des pires épisodes où je me suis ridiculisée au lycée, si ignominieux que je n'en ai pas dormi pendant deux semaines (...).
Dernier contrôle de version (de latin, dans le cas présent, mais cela vaut aussi pour le grec) de la première année de lycée classique. Celui où tout se joue, y compris le droit de passer un été serein au bord de la mer Tyrrhénienne, sur le sable et surtout avec les méduses.
Le titre du devoir en classe, écrit en gras et en italien, est Il ratto delle Sabine (l'enlèvement ou le rapt des Sabines). Suivi du texte à traduire. Alors âgée de quinze ans, j'étais plutôt forte en latin : la situation était donc sous contrôle, bien sûr...
Le problème, c'est que je n'avais de ma vie jamais entendu parler de ces Sabines : qui étaient-elles ? (...) En revanche, je savais très bien ce qu'était un ratto (un rat) (...).
Je commençai donc à traduire, crânement, mais à la fin, le sens du texte ne collait pas. Non, cela ne collait pas du tout. On aurait dit un salmigondis de mots ou encore une audacieuse expérience d'écriture dada. Les Sabines et les rats semblaient n'avoir rien à faire les uns avec les autres.
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Parce qu'un texte parle, il suffit de l'écouter (non, je ne souffrais pas d'hallucinations, pas plus que je n'eus de révélation mystique, quand, face à un devoir en classe - le matin à 8 heures, forcément -, je dus choisir : vaincre le grec ou succomber. Ce fut alors que je compris que l'unique façon de progresser était de penser comme pensaient les Grecs. C'est là, depuis plus de quinze ans, ma méthode et mon conseil premier, le plus important, pour affronter toute traduction ou version, quel que soit le nom qu'on lui donne).
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En résumé, pour traduire le texte, pour se rapprocher le plus possible de ce qu'il signifie, il faut parfois des mots en plus, parfois en moins, en passant du grec à l'italien ou au français. Il faut toujours percevoir ce que le texte dit pour le dire ensuite dans notre langue.
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En bonne originaire du Chianti, je voudrais parler du vin dans la Grèce antique.
Appelé Nectar des dieux, Sang de Dionysos ou Ambroisie de l’Olympe, il avait, nous l’avons déjà dit, un degré d’alcool très élevé : cela était dû au soleil brulant de la Grèce associé à des vendanges très tardives, lorsque les feuilles des vignes étaient déjà tombées.
La consommation de cette boisson remonte à l’époque mycénienne, vers la fin du IIe millénaire avant J.-C., comme le prouve la découverte de cruches dans lesquelles les analyses chimiques ont confirmé la présence de vin.
[…] On dit aussi qu’il était d’usage de le boire coupé d’eau, non seulement, pour d’évidentes raisons d’ordre public, mais aussi pour une question d’identité : les Grecs étaient horrifiés par les barbares qui, eux, buvaient le vin tel quel, pur. Par exemple, au chant XI de l’Iliade, Nestor offre au médecin Machaon du « vin de Pramnée » (c’est-à-dire en provenance d’Icarie et considère ainsi comme le premier « vin AOC » de l’histoire) « mélangé à de la farine blanche et à du fromage râpé ». Un délice, en somme : les héros d’Homère dégustaient cette mixture quand le moment était délicat, lorsqu’ils étaient blessés ou après des combats exténuants. Elle portait même un nom, cette pâtée : on l’appelait cycéon (ϰυϰεών)
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Difficile de penser sans le temps, mais le temps n'existe pas ; ce qui existe c'est une fin pour chaque commencement, et un commencement pour chaque fin. Les paysans et les marins le savent : on moissonne pour semer et récolter de nouveau, on accoste au port pour lever l'ancre, traverser la mer et accoster de nouveau. Difficile de voir, pour nous qui regardons toujours notre montre, notre agenda, de calendrier, en décomposant l'organisation de notre vie dans le temps, que tout change et qu'en même temps tout reste : "je reste" et "je t'attends" ont la même racine dans les verbe grecs μένω et μίμνω.
Difficile pour nous, mais non pour le grec ancien, cette langue qui percevait non le temps mais le processus, et qui, grâce à l'aspect du verbe, exprimait la qualité des choses qui semblent toujours nous échapper - quand, la question que nous nous posons toujours, sans jamais percevoir comment.
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Oui, ce livre parle avant tout d'amour : l'amour pour une langue, mais surtout envers ceux qui la parlent, ou, si personne ne la parle plus, envers ceux qui l'étudient parce qu'ils y sont contraints ou bien parce qu'ils sont irrésistiblement attirés par elle.
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Dans une époque aussi bouleversée et compliquée, poussé par l’exigence frénétique du quand, on perdit de vue la valeur du comment pour ce qui concerne les choses de la vie. Au moment exact où la catégorie du temps s’imposa, la catégorie aspectuelle du verbe s’éteignit comme la flamme d'une chandelle qui s’est consumée trop longtemps.
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En écrivant, je me suis rendu compte que la fracture du sens entre les Grecs et nous se trouve entièrement là, à l’époque hellénistique et celle de la chonia — et pas dans les salles d’un quelconque lycée classique d'aujourd’hui. Ce qui a été oublié durant cette phase de l’histoire du grec, est, ironie du sort, exactement ce dont j’ai tâché de ranimer la mémoire en écrivant ce livre. Peut-être que le grec ancien est mort au moment même où les Grecs ont arrêté de penser comme des Grecs anciens. Ou peut-être qu’il a commencé à mourir à ce moment-là; bien que, autre ironie du sort, le verbe grec thneskô, "mourir", n’admette que l’antique aspect du présent, parce que ou l'on est vivant ou on ne l’est plus.
Ce qui est certain, c’est que lorsqu’une langue devient la langue de tous, elle devient en réalité la langue de personne.
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Chaque mot de chaque langue est soumis à la démocratie de l'usage de celui qui la parle, de même qu'une statue est soumise à la démocratie du vent qui continue à en sculpter le marbre.
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Il s’est fait tard, trop tard, pour nous, linguistiquement, il s'est écoulé trop de temps, et désormais nous ne percevons plus l'aspect des choses et nous ne savons plus l’exprimer grammaticalement dans notre langue. Nous devons donc nous efforcer de trouver une autre façon de dire ce sens particulier de satisfaction ou de réalisation, de manque ou de désir, qui nous protège du pouvoir destructeur ou conservateur du temps.
Telle cette petite fleur, le myosotis, encore appelée "ne m’oubliez pas".
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