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Critique de colimasson


On peut essayer de comprendre l'économie en se tapant les théories décérébrées des économistes (tous pourris) mais on peut aussi se mettre à la lecture de Houellebecq. On comprendra aussi bien la marche aberrante de l'humanité, et on sirotera à l'occasion son pur style d
ésenchanté.


Derrière tous les romans de Michel Houellebecq, Bernard Maris reconnaît la figure de certains grands économistes. Ceux-ci s'appellent Marx, Malthus, Schumpeter, Smith, Marshall ou Keynes, et ils ont popularisé les notions de « minimum vital nécessaire », de « destruction créatrice » ou d' « infantilisme des consommateurs ». On peut ainsi lire L'extension du domaine de la lutte comme un roman sur le libéralisme et la compétition, Les particules élémentaires sur la marchandisation des rapports humains, Plateforme sur l'absurdité de l'offre et de la demande, La possibilité d'une île pouvant quant à lui se lire comme la science-fiction d'une humanité dont tous les membres seraient enfin devenus les kids éternels rêvés par la société de consommation.


Si les romans de Houellebecq sont si violents et cruels, c'est parce qu'ils reproduisent à l'échelle individuelle la violence et la cruauté qui se cachent derrière les théories économiques les plus nobélisables. Ce qui se passe dans les romans de Houellebecq est-il plus odieux et répugnant que la théorie de Gary Becker (les familles se répartissent en deux catégories selon qu'elles ont peu d'enfants mais de bonne qualité ou beaucoup d'enfants mais de qualité médiocre), celle de Gérard Debreu (notre société doit réfléchir de toute urgence à la question de la durée de vie des vieux : vaut-il mieux les débrancher tôt ou les maintenir en vie le plus longtemps possible pour créer des emplois ?) ou celle de Larry Summers (il vaut mieux déverser la pollution du Nord vers le Sud pour faire mourir les noirs et conserver les blancs afin que l'humanité y gagne en termes de revenu mondial économisé) ? N'oublions pas de préciser que les trois bonhommes sus-cités ont chacun reçu le Prix Nobel d'économie.


Un être humain trop sensible ayant grandi et vécu dans une société qui valorise de tels raisonnements et qui reconnaît les valeurs qui en découlent ne peut finir autrement qu'un personnage de Houellebecq. Il se montrera cynique pour se protéger, il déprimera s'il ne peut pas lutter, ou il collaborera s'il croit encore pouvoir tirer son épingle du jeu. Chacun des romans de Houellebecq présente des personnages pris au piège de ces comportements qui découlent d'un paradigme nauséabond. Voudrait-on s'en sortir que le reste de la société nous rattraperait et nous collerait à nouveau le nez devant les étalages de cosmétiques puants du Monoprix.


Les personnages des romans de Houellebecq présentent tous un léger décalage : ils louchent un peu trop et se prennent les jambes dans le tapis en voulant filer droit avec les autres. Leur regard dévie d'un angle infime par rapport à l'angle droit de la servilité joyeuse. Ils sont peut-être nés trop tard ou espèrent être nés trop tôt, ils regrettent la disparition du christianisme qui permettait de « refuser l'idéologie libérale au nom de l'encyclique de Léon XIII sur la mission sociale de l'Evangile » tandis que « le marché, lui, se charge de les abolir et de les pulvériser, en abolissant tout lien autre que monétaire ». En considérant que le déclin du christianisme s'accompagne de la naissance du matérialisme et de la science moderne, avec pour conséquences le rationalisme et l'individualisme, on peut interpréter Soumission, le dernier roman de Houellebecq, publié après cet essai de Bernard Maris, sous l'angle de la recherche d'un nouveau paradigme apte à mieux satisfaire les aspirations authentiques de l'être humain. Et si cette perspective semble affreuse, il faut alors se demander quel terreau a pu lui permettre de se développer ? Il paraît que les chiens ne font pas des chats.


Si Bernard Maris parle de Michel Houellebecq, c'est surtout pour dessiller certains de ses (mauvais) (ou faux) lecteurs qui croient voir en lui le représentant démoniaque des pires aspects de notre société. Peut-être n'est-il finalement que le témoin le plus intérieur de la catastrophe économique.
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