Il n’y avait qu’à regarder leurs dos courbés vers le sol, leurs visages tannés par le soleil et le vent, leurs doigts tordus par les rhumatismes. Du début du printemps à la fin de l’automne, femmes et hommes se levaient tôt chaque matin pour travailler dehors, poussés par la nécessité de nourrir leurs familles.
Le chamane s’était immobilisé. Il continuait à fixer les flammes d’une manière telle que La Vivace se demanda s’il dormait les yeux ouverts. Le feu crépitait à leurs pieds et, au bas de l’abri, les vagues se fracassaient contre les rochers à intervalles réguliers.
Depuis son second départ de Dernier-Mont, elle semblait emportée par la peur, comme une feuille morte bousculée par le vent : peur de l’abandon, peur de mourir, peur de l’injustice, peur d’être ensorcelée, peur de la montée brutale de l’Océan, peur de l’assassinat d’un nouveau-né…
elle pouvait encore savourer… la musique des arbres. Elle venait de remarquer que les petites feuilles printanières du châtaignier chuchotaient. Celles du bouleau émettaient un soupir. Celles du chêne semblaient doucement applaudir. Quant à celles du houx, elles grinçaient sous les coups de vent…
La véritable richesse du commerçant ne consistait pas en objets précieux, mais dans sa connaissance précise de qui plaisait à chaque peuple.
– Nos ancêtres ont toujours fait ainsi, protesta-t-elle. Nous ne pouvons pas revenir en arrière ! Tu crois que notre peuple réussirait à se nourrir s’il renonçait au pain ?
- Ourse-la-Puissante l'ancienne avait le même espoir que toi, Lynx. II y a trente ans, une tempête exceptionnelle a balayé la mer des Va-et-Vient et anéanti un peuple de guerriers. Mais cette fois, les Esprits ont laissé les Cultivateurs nous envahir... Je n'ai pas d'explications à te donner. Sauf peut-être que le temps des Esprits n'est pas le nôtre.
Elle pouvait bien mourir, maintenant. Elle n'avait pas vécu toutes ces épreuves pour rien. Elle découvrait enfin ce qu'aimer voulait dire.
Jamais elle n'aurait imaginé vouloir un jour transpercer une chair pareille à la sienne, qui abritait le même sang, où battaient les mêmes pulsations de vie, mais c'était sa famille, ses amis, qui mouraient sous ses yeux.
À quoi bon chercher à freiner le passage des saisons et la succession des années ?