Citations sur Le choc de Carnac (21)
Il n’y avait qu’à regarder leurs dos courbés vers le sol, leurs visages tannés par le soleil et le vent, leurs doigts tordus par les rhumatismes. Du début du printemps à la fin de l’automne, femmes et hommes se levaient tôt chaque matin pour travailler dehors, poussés par la nécessité de nourrir leurs familles.
Le chamane s’était immobilisé. Il continuait à fixer les flammes d’une manière telle que La Vivace se demanda s’il dormait les yeux ouverts. Le feu crépitait à leurs pieds et, au bas de l’abri, les vagues se fracassaient contre les rochers à intervalles réguliers.
Les Esprits, qui devaient se faire discrets sur les terres des Cultivateurs, gardaient toute leur force là où la liberté existait pour les plantes, les animaux et les humains, là où la terre était nourricière à sa façon, là où la pluie et le soleil se succédaient sans être implorés sans cesse, là où les humains écoutaient la nature au lieu de vouloir lui imposer sa loi.
Depuis son second départ de Dernier-Mont, elle semblait emportée par la peur, comme une feuille morte bousculée par le vent : peur de l’abandon, peur de mourir, peur de l’injustice, peur d’être ensorcelée, peur de la montée brutale de l’Océan, peur de l’assassinat d’un nouveau-né…
elle pouvait encore savourer… la musique des arbres. Elle venait de remarquer que les petites feuilles printanières du châtaignier chuchotaient. Celles du bouleau émettaient un soupir. Celles du chêne semblaient doucement applaudir. Quant à celles du houx, elles grinçaient sous les coups de vent…
La véritable richesse du commerçant ne consistait pas en objets précieux, mais dans sa connaissance précise de qui plaisait à chaque peuple.
Inquiet, le commerçant tentait d'avancer plus vite ; en vain. Devant lui, la végétation formait un fouillis où il avait peine à se frayer un chemin. Quand il croyait pouvoir se glisser dans un espace plus large entre les chênes et les noisetiers, son gros sac était retenu par le bras d'une ronce. Impatient, il se blessait les doigts en l'arrachant de la toile. Après chaque obstacle, il retrouvait sa direction : plein sud, à l'opposé de la face moussue des arbres. Heureusement qu'il avait ce repère, car le temps était brumeux. Malgré l'arrêt de la pluie, impossible de savoir de quel côté se trouvait le soleil.
– Moi qui le connais bien, je pense qu’il se serait imposé de toute façon. Mon peuple a terriblement peur des Nomades, ces gens qu’il ne comprend pas, qu’il appelle sauvages. En s’approchant de la côte, il doit aussi affronter son horreur de l’Océan. On peut toujours brûler la forêt, pour faire reculer les Nomades et les animaux sauvages. Mais que faire face à l’Océan ? Impossible de le combler ! Impossible d’y construire un pont ! Impossible de maîtriser ses vagues et ses marées ! Pour un peuple qui travaille la terre comme le mien, l’Océan est un cauchemar.
– Nos ancêtres ont toujours fait ainsi, protesta-t-elle. Nous ne pouvons pas revenir en arrière ! Tu crois que notre peuple réussirait à se nourrir s’il renonçait au pain ?
- Ourse-la-Puissante l'ancienne avait le même espoir que toi, Lynx. II y a trente ans, une tempête exceptionnelle a balayé la mer des Va-et-Vient et anéanti un peuple de guerriers. Mais cette fois, les Esprits ont laissé les Cultivateurs nous envahir... Je n'ai pas d'explications à te donner. Sauf peut-être que le temps des Esprits n'est pas le nôtre.