Un livre, c'est un contrat de lecture entre le lecteur et l'auteur, mais avant ça, entre le lecteur et l'éditeur, puisque c'est ce dernier qui choisit la couverture, écrit le résumé, présente l'ouvrage et organise, en quelque sorte, la rencontre avec le lecteur. En ce qui concerne "Evidemment Martha", cette rencontre a été, pour moi, un malentendu. Il m'a fallu quasiment un tiers du livre pour réaliser que ce n'était pas du tout l'histoire que j'imaginais, que la 4e de couverture m'avait proposé non pas une amorce mais quasiment un synopsis (dans lequel sont révélés des faits que le lecteur ne découvrira pas avant la page 361). Je n'arrivais pas à comprendre le rapport avec
Sally Rooney, l'illustration de couverture me faisait plutôt penser à du
Gilles Legardinier (je suis dure, il n'y a pas de chaton dessus). Même le titre français est une bizarrerie : en anglais, c'est "Sorrow & bliss", littéralement "la tristesse et l'extase" mais avec un petit côté "Pride & prejudice" qui n'est sans doute pas un hasard.
Bref. Je ne sais pas ce que je m'étais imaginé, mais pas ça. Je pensais que ce serait une histoire de rupture dont on se remet tant bien que mal, drôle, un peu loufoque, un truc qui change agréablement les idées.
Arrivée à la page 150, j'attendais donc toujours que cela "démarre" et je me suis rendue à l'évidence : j'étais en train de lire un tout autre livre que celui qui était emballé dans cette amusante couverture verte et rose avec des remarques comme "hilarant !" signées
Gillian Anderson.
Attention, au point où on en est, cette critique contient quelques spoilers.
Je n'ai pas trouvé ça hilarant du tout (et si l'autrice a de l'humour, beaucoup, il fait plus grincer des dents que sourire). J'ai toujours eu un peu de mal à rire de la souffrance des gens.
"Evidemment Martha" est livre qui parle de maladie mentale. Une maladie insidieuse, qui ne se voit pas, que personne ne comprend, qui ne sera jamais nommée (nouvelle déconvenue pour moi quand j'ai lu la petite note à la fin qui disait que cette maladie était totalement imaginaire...). Une maladie qui autorise tout à le monde à se vautrer confortablement dans le déni, en se disant que Martha n'est "pas douée pour la vie", que ça ira mieux plus tard, ou pire, que la laisser comme ça permet de la garder à portée de main.
"Evidemment Martha" n'est pas le livre de sa rupture avec Patrick, mais un long récit qui reprend au tout début l'origine de ce mal qui la ronge, comme on raconte son histoire étape par étape sur le divan pour tenter de comprendre comment les pièces du puzzle s'assemblent (tout va bien, on a retrouvé
Sally Rooney).
Martha finit par comprendre, agir, cesser de se lamenter sur elle-même ; on partage sa colère, on a désespérément envie de lui dire que non, ce n'est pas trop tard, ce n'est jamais trop tard. On s'attache à elle, à Patrick, même à sa famille tordue, des répliques cinglantes de sa soeur Ingrid à la gentillesse incommensurable de son père. Et on tourne les dernières pages la boule au ventre, l'émotion est au rendez-vous, enfin.
Pour moi, ce livre n'est donc pas l'extraordinaire chef d'oeuvre qui nous est annoncé, mais je continue à me demander ce qui se serait passé si je l'avais lu (comme
Normal People de
Sally Rooney, pour le coup) dans son édition originale, si je l'avais abordé sans a priori. En tout cas, l'autrice a su me convaincre et me faire remonter la pente, comme celle de sa protagoniste (et on partait de loin).
Merci à Masse Critique et aux éditions du
Cherche Midi pour cette découverte.