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Les Mémoires d'Agrippa tome 1 sur 3
Auto édition (20/06/2016)
4.25/5   2 notes
Résumé :
Pour Rome et pour Octavien ! » Pour sauver son frère (qui a pris le parti de Pompée et va être exécuté par César), Agrippa jure de se dévouer à son ami d’enfance, Octave, (futur héritier de César sous le nom d'Octavien puis Auguste.)
Agrippa devient le meilleur chef d’armée de son temps et le bienfaiteur de Rome. Pacificateur des Gaules, grand amiral vainqueur de Pompée, de Marc Antoine et de Cléopâtre, il permet au futur Auguste d'acquérir le pouvoir suprêm... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (2) Ajouter une critique
Je remercie Annie Massy qui me sollicite pour lire son roman historique et publier mon ressenti de lecture. Il s'agit du tome 1 des Mémoires d'Agrippa, intitulé de l'esclavage à l'empire.
Je m'aventure de toute évidence dans un roman parfaitement étayé, enrichi d'un glossaire et d'une chronologie en fin de volume : de plus, le parcours universitaire de l'auteure promet de garantir un travail de recherche abouti. C'est donc rassurée et curieuse que je commence ce livre, ravie de me replonger dans une partie de l'histoire de la Rome antique qui m'intéresse particulièrement.
Marcus Vipsanius Agrippa est un ami d'enfance d'Octave Auguste, plus tard un de ses fidèles lieutenant, grand amiral en chef, puis grand ingénieur en chef de Rome. Dans les années 20, il sera même corégent de l'empire romain d'Octave, devenu Auguste, en Orient avant de devenir son gendre. Les véritables mémoires d'Agrippa, rédigées à Lesbos, ne sont pas parvenues jusqu'à nous. Annie Massy réécrit pour nous ces rouleaux de papyrus perdus et nous fait revivre le temps de la gloire de Rome au cours de la deuxième moitié du 1er siècle avant JC.

Le récit intercale la narration omnisciente et les passages à la première personne des mémoires d'Agrippa. La voix d'Agrippa est vivante, dynamique, efficace : l'histoire de Rome prend vie sous nos yeux. Il remonte dans sa généalogie jusqu'à son grand-père esclave et son père affranchi, l'occasion de poser le pré-contexte historique des guerres civiles qui ont précédé le principat puis l'avènement d'Octave Auguste. En effet, la vie d'Agrippa est liée depuis l'enfance à celle de ce grand héros de Rome, considéré comme mourant et sans descendance directe au début du livre.
C'est dans ce contexte particulier que se développe la trame narrative : tandis qu'à Rome, Mécène gère de son mieux les affaires courantes, Agrippa est face à plusieurs choix possibles, trahir son ami Octave et prendre le pouvoir à Rome ou encore régner sur la partie orientale de l'empire romain. En proie à ses réflexions, il dicte ses mémoires à ses secrétaires.
L'alternance des mémoires et du récit permet des retours en arrière qui éclairent les événements. Des pans de vie privée sont l'occasion de décrire la vie quotidienne, l'éducation des enfants et le passage à l'âge adulte, les cours de rhétorique, les rapports familiaux, le rôle des femmes, la nécessité des alliances dans la vie sociale, les techniques médicinales, les principes stoïciens ou épicuriens mis en balance… La vie publique est également développée avec la description notamment du triomphe de César et du malheur des vaincus, des calculs et des complots, des cérémonies religieuses, du passage de la Rome en briques à la Rome en marbre...
Des parallèles temporels s'établissent entre les souvenirs d'Agrippa et le récit des évènements autour de l'agonie puis de la guérison d'Octave Auguste par le découpage en chapitres et en chapitres bis : déroutant au début, ce chapitrage fait le lien entre les époques et les lieux, le destin exceptionnel d'Agrippa étant lié à celui d'Octave. Tandis que les mémoires d'Agrippa respectent la chronologie et avancent dans le temps depuis l'enfance des deux amis, au temps où César franchissait le Rubicon et triomphait à Rome, le récit proprement dit relie Rome à Mytilène en remontant parfois le fil des événement (rappelant notamment la puissance tribunicienne et l'imperium, l'octroi du titre augustéen, la guerre contre les Parthes, la bataille d'Actium et le suicide d'Antoine et Cléopâtre…) ou en faisant coïncider la lecture des évocations de faits marquants (Victoire contre Pompée relatée dans les mémoires et victoire sur les Parthes dans le récit, ou encore rappel de la bataille d'Actium par Agrippa tandis qu'à Rome, Mécène suggère à Octave Auguste de le faire assassiner, par exemple).

En réécrivant les mémoires d'Agrippa, Annie Massy met en avant un personnage de premier plan, pourtant un peu oublié dans le sillage d'Octave Auguste ; sans Agrippa, Octave aurait-il pu mener à bien sa « mission surhumaine » d'instaurer un monde nouveau ? Elle met en lumière le rôle de ce grand combattant qui a su se faire complémentaire de l'intelligence d'Octave et compenser la faiblesse physique de son ami ; ses premières campagnes militaires révèlent le soldat, le guerrier, le stratège dans des combats où il vaut mieux mourir qu'être vaincu ; le génie d'Agrippa est dans la préparation car « il gagne les guerres avant de les commencer » et s'attire ainsi la confiance de l'armée. de même, ses origines modestes le rapprochent du peuple. Avec Octave, dont les qualités de chef d'état et d'orateur sont exceptionnelles, il forme un duo remarqué déjà par César. Agrippa, dans l'ombre, va consacrer sa vie à la grandeur de Rome et à la gloire d'Octave Auguste, valorisé en pleine lumière.
Loin de Rome, Agrippa a l'impression d'agir en dictant ses mémoires, dans une posture cathartique pour éviter « la damnatio memoriae, cet oubli définitif réservé aux adversaires politiques ». Il campe une attitude critique et lucide car, s'il a soutenu inconditionnellement Octave, il l'a parfois fait à son corps défendant.

Enfin, un autre aspect notable de ce roman est la place qu'il donne aux femmes. À la fin de la République, les Romaines ont acquis une certaine liberté. Elles peuvent divorcer et se remarier sans soulever de scandale, changer de partenaires, se livrer à des excès. L'auteure nous révèle tout naturellement de beaux portraits de femmes, instruites et avisées, excellentes conseillères dans l'ombre, capables de jouer double-jeu, ambitieuses, rebelles et insoumises ou encore simples ventres chargés de produire un héritier mâle, épouses délaissées pour d'illustres maitresses, femmes en proie à des troubles psychiatriques : Atia, la mère d'Octave, sa soeur Octavie, son épouse Livie, sa fille Julie et, du côté d'Agrippa, sa soeur Polla, sa première épouse Attica, puis la seconde, Marcella, nièce d'Octave… Elle évoque Cornelia, l'épouse de César… Salomé, la soeur d'Hérode, n'est pas oubliée… Cléopâtre, la reine d'Égypte et la malheureuse Arsinoé sont aussi convoquées ainsi que toutes les anonymes, victimes livrées à la violence des vainqueurs et réduites en esclavage.
Nous découvrons un Agrippa éperdument amoureux d'Octavie, et cela depuis l'enfance, un amour impossible, aux accents lyriques, jusqu'à ce qu'elle devienne, enfin, sa maîtresse ; mais malgré son veuvage, et bien qu'enceinte d'Agrippa, elle n'attend pas son retour des Gaules et épouse Marc-Antoine. Annie Massy fait du personnage romancé d'Agrippa un homme respectueux des femmes, qui n'a jamais abusé de ses droits ou de son pouvoir dans ses relations avec elles. de plus, il est scandalisé devant la manière dont Octave répudie sa première épouse Scribonia pour épouser Livie, attitude qu'il qualifie de « noeud gordien matrimonial ».
J'ai relevé des détails plus intimistes sur Octave Auguste, notamment sur sa vie sexuelle que mes cours de littérature latine n'avaient pas abordée alors que l'homosexualité était pourtant admise à Rome : « Ah ! Si Agrippa avait voulu... le sort du monde en aurait été changé ! Si Agrippa avait voulu... mais Agrippa ne voulait pas ! Nul besoin d'aborder le sujet ; c'était clair : la seule amitié possible entre eux devait être d'ordre fraternel ! »… Cette attitude peut expliquer qu'il ait toujours refusé de favoriser le rapprochement entre son ami et sa soeur.

Vous l'aurez compris : je salue l'aspect didactique de ce roman, dans lequel j'ai retrouvé et approfondi un pan de l'Histoire de Rome que je connaissais bien déjà et j'ai pris un immense plaisir à lire cette réécriture romanesque très bien documentée et superbement écrite. J'ai vu vivre devant mes yeux les grandes scènes de batailles terrestres ou navales dont les descriptions rappellent leur traitement par les auteurs anciens. J'ai reconnu dans ce roman les effets de l'ekphrasis, cette technique littéraire qui montre au lecteur une description tout en rappelant un autre art que la littérature : la peinture, la sculpture, voire le cinéma…
On peut dire qu'Annie Massy s'est appropriée son sujet au point de l'incarner véritablement par une écriture épique, intimiste, poétique, toujours juste selon les circonstances. J'ai retrouvé les accents virgiliens de passages de L'Énéide pour décrire l'horreur des guerres civiles. Elle a su émailler sa narration de passages dialogués avec naturel et brio. Elle a mis l'accent sur les « blessures intimes, ces cicatrices qui sont autant de rites de passage imposés par le destin ou le hasard ».
Le dénouement de ce tome 1, que naturellement je ne dévoilerai pas, me fait penser à la liberté intellectuelle qui a caractérisé la première partie du règne d'Octave Auguste, lui-même écrivain à ses heures, décrit comme tolérant, ne pratiquant pas de politique littéraire despotique, s'entourant grâce à Mécène d'un cercle littéraire où figuraient Virgile et Horace ; le durcissement interviendra bien plus tard, avec l'exil d'OvideAnnie Massy reprend à son compte les nuances, la diversité et la subtilité des approches poétiques contemporaines de la politique d'Octave-Auguste, entre propagande et remise en question.
Voilà un roman que je vous recommande, conseille même aux étudiants de lettres… et qui mérite une belle renommée. J'attends le tome 2 avec impatience !
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Je remercie Annie Massy pour sa proposition de lecture, par le biais du site simplement.

1er siècle avant JC.

Il s'agit du premier tome des mémoires d'Agrippa. Un enfant d'un ancien esclave qui va devenir un homme au sein d'une Rome antique. Ami d'enfance avec Octave Auguste, qui changera de prénom à plusieurs reprises, il va devenir l'un de ses meilleurs lieutenant et plus. Marcus Vipsanius Agrippa raconte le début sa vie, de son enfance à ses quarante ans. Un récit qui est découpé en deux sections distinctes. D'un chapitre à l'autre nous naviguons entre le « je » d'Agrippa, qui écrit ses mémoires en débutant par son enfance. Et de l'autre nous avons le « il ou elle » qui nous décrit ce qui se passe en temps réel, alors qu'il est adulte.

Ce qu'il nous raconte est entraînant, il donne envie de venir à cette époque et de voir de nos propres yeux ce qu'il vit. de son grand-père à lui, il raconte comment son père s'est affranchi, comment il s'est battu pour que lui et ses frères et soeurs soient libre. Ses désirs, ses besoins, son aptitude à se fondre dans la masse, à laisser sa place de premier pour rester second pour que son ami reste sur le devant de la scène. Ses sentiments qui prennent de la place sans pour autant lui faire oublier ce qu'il doit faire : Aider son ami pour mettre Rome à ses pieds. Enfin façon de parler. J'ai adoré la façon dont il explique ses sentiments, sa vision des choses, ses attentes également.

Le texte qui est à la troisième personne parle de lui et de tous ses proches et moins proche. Rome est une puissance, César est encore en vie, Cléopâtre est citée, Marc-Antoine est présent. L'Empire Romain et ses nombreuses guerres. La vie dans les rues est difficile, des choix sont imposés, des personnalités se doivent de se lier à d'autres pour asseoir une position d'un père, d'une mère, d'une nation. J'ai eu plus de mal avec cette partie, plus tactique, plus politique aussi.

Le personnage d'Agrippa est un personnage central de par ses fonctions. Il n'est pas un chef d'état comme César, ou même un orateur qui déclenche des foules, mais c'est un soldat, un tacticien, un de ceux qui se sert aussi bien de sa tête que de ses muscles pour affronter les nombreux ennemis. Lui et Octave sont complémentaires et assez forts pour maintenir le peuple aux pieds d'Octave justement. L'auteur lui donne des sentiments, des émotions, des descriptions qui le rendent vivant.

Il est question de beaucoup d'événements dans ce livre et je passe sur les guerres. Les femmes ont le droit de choisir leur mari, enfin dans la majeure partie. Ils peuvent divorcer et se remarier comme bon leur semble. Les femmes ont le droit à un peu d'instruction, pas toutes mais certaines arrivent à un très bon niveau de connaissances. En parlant de femmes, l'auteur nous en fait découvrir un certain nombre. Il y a Octavie, la soeur d'Octave, le grand amour d'Agrippa, Livie, Julie, Polla la soeur de notre héro. Nous apercevons également Cornelia et Salomé, Cléopatre et sa soeur... Les relations entre les hommes et les femmes sont simples : épouser, marier, avoir des enfants, échanger pour obtenir des faveurs. le sexe est important pour plusieurs raisons. L'amour, le besoin, l'envie, le manque, le devoir... Tout est question de pouvoir et s'il faut passer par là...

La politique fait partie intégrante des personnages. Cela peut les détruire, les changer à tout jamais ou les voir continuer leur vie comme si de rien n'était. C'est un point crucial qui est très bien détaillé je dois le reconnaître même si ce n'est pas vraiment ce que je préfère dans un livre.

Ce que j'ai adoré c'est vraiment ce côté « les mémoires », ce qu'il raconte de vive voix. Ces mots s'inscrivent et remontent le temps pour nous faire découvrir un enfant qui voit son grand frère évoluer rapidement. Ce statut d'enfant d'ancien esclave n'est pas anodin. C'est le début de la liberté, mais pas assez pour obtenir ce qu'il veut vraiment. Son père s'est battu, lui aussi et pourtant la seule femme qu'il désire, il ne peut l'avoir. Pour ce statut ou bien pour un autre point énoncé dans le récit. Dans tous les cas, c'est important pour lui d'être un homme libre, il se bat pour le rester ! le voir évoluer, le voir prendre conscience de tout ce qui l'entoure. C'est ce côté intimiste que j'ai beaucoup aimé. Apprendre et se souvenir de ce que j'ai appris à l'école, comme la famille, l'éducation.

Ce que j'ai moins apprécié c'est tout le côté politique, dont on ne peut pas échapper de toute manière dans cette époque.

En conclusion, un premier tome qui ne fait pas que poser les bases, il nous montre les enjeux d'un Empire, ce qu'est capable de faire un homme pour sa liberté. C'est un roman complet dans beaucoup de domaines. N'empêche je me demande bien de quoi va parler la suite...

http://chroniqueslivresques.eklablog.com/les-memoires-d-agrippa-tome-1-de-l-esclavage-a-l-empire-annie-massy-a132343212
Lien : http://chroniqueslivresques...
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Citations et extraits (5) Ajouter une citation
Extraits des mémoires :

La suite... c’est celle de tous combats... D’abord les gémissements des blessés qui ne pourront pas être soignés : on achève les nôtres, parfois aussi les autres dont certains sont des Romains, comme nous ; il y a encore les soldats qui se ruent comme des mouches sur les morts pour leur prendre tout ce qui a de la valeur : armes, armures, anneaux et même sandales, les laissant nus pour les corbeaux et les vautours qui se massent de plus en plus nombreux. Ensuite : la torpeur des vainqueurs qui tourne en délire lorsqu’ils dressent des trophées en attendant leur part du butin commun. Et puis : l’odeur... cette puanteur qui monte des corps vite en décomposition, non loin du camp... Enfin, les jours suivants : c’est la razzia sur les villages qui ont soutenu l’adversaire, la prise d’esclaves qui complétera le butin et les femmes... les femmes... Elles ne participent pas au combat et pourtant elles en subissent les pires conséquences : elles finissent livrées à la violence des troupes, avant de grossir le flot des esclaves, cette marchandise si lucrative dans l’empire romain !

[…]

Octave peut compter sur moi pour le mener à la victoire militaire. Je peux compter sur lui pour m’en récompenser au-delà du raisonnable.

[…]

Rome et son peuple avaient besoin d’une nouvelle forme de gouvernement, plus forte, plus protectrice, plus orga- nisée. Octavien l’incarnait et j’allais l’accompagner ! Nous nous sommes mis d’accord sur une stratégie : un seul devait être en lumière et apparaitre comme chef d’armée et homme politique exceptionnels. Moi, comme je l’avais déjà fait en Hispanie*, je devais permettre le succès et rester dans l’ombre. La réussite des deux était à ce prix et je l’ai accepté d’emblée. Quand nous avons scellé notre pacte, Octavie était là, entre Octavien et moi, nous enlaçant l’un et l’autre comme elle le faisait dans notre enfance : j’avais tout ce que je pouvais espérer de la vie.

[…]

J’ai choisi. Octavie a raison : je dois soutenir Octavien coute que coute. Je l’ai voulu, je l’ai juré ! Mais pas n’importe comment ! Mon père doit une part importante de sa fortune aux proscriptions de Sylla. Je sais désormais clairement, de quoi j’ai été nourri et éduqué. Je ne vais pas recommencer. Marc Antoine m’accuse d’avoir une attitude louche. Je l’assume totalement et je me flatte, au moment où j’écris ces Mémoires, d’être le seul à n’avoir pas profité directement des proscriptions*.
Je ne poursuis que les ennemis reconnus de mon ami d’enfance, pas leur famille. Je suis celui que l’on vient voir pour obtenir la clémence d’Octavien. Je ne poursuis pas les exilés volontaires.

[…]

En quatre ans, j’ai dû vieillir d’une dizaine d’années au moins ! Mais je n’ai pas failli dans mon soutien inconditionnel à Octavien. Ma vie personnelle aussi a évolué. Je ne parle pas des domaines que j’ai récupérés avec les proscriptions sans les revendiquer, ni de l’augmentation d’une fortune dont je n’ai pas vraiment besoin. Je veux parler d’Octavie et de moi : à force d’être proches, lors de mes passages à Rome, il fallait bien qu’un jour nous le devenions encore davantage ! Après avoir accouché d’un fils et comblé son vieux mari, elle a pris un peu de distance avec ses obligations morales de matrone romaine. Je n’attendais que ce moment ! Mais après tout, n’était-ce pas normal ? J’ai aimé Octavie le premier ! J’ai enfin pu vivre cette union totale de nos chairs, de nos émotions et nos esprits. Oh Octavie, quel bonheur tu m’as donné alors ! La République s’écroulait, Rome tremblait en proie à une confusion totale, la guerre contre les Césaricides se précisait... mais dans ta couche, Octavie, tu m’offrais un monde de jouissances d’autant plus intenses que je les avais espérées pendant des années ! Quand je te quittais, momentanément rassasié, j’étais comme Alexandre regardant du haut d’une montagne, l’étendue de ses conquêtes !

[…]

Oui, ce fut une période dure, mais intense aussi. Galva-nisé par Octavie, fidèle et dévoué à Octavien, je me suis démultiplié pour assurer leur triomphe. Philippes, Pérouse, Siprente... autant de lieux et de victoires où je suis resté dans l’ombre pour permettre à Octavien de passer pour un grand chef d’armée. Il arrivait après la bataille, se tordait de douleur dans une tente pendant les combats... et les gagnait grâce à moi. Il gonflait alors le torse pour redresser sa taille et paraitre plus grand ; il couvrait sa maigre poitrine d’une armure étincelante ; et il apparaissait devant les troupes pour les féliciter, les récompenser... et se faire acclamer.

[…]

J’avais oublié à quel point Polla était ma sœur : même caractère, même force d’argumentation ! Elle n’a pas pu avoir une éducation aussi poussée que la mienne mais elle fait partie des femmes les plus cultivées de sa génération. Sa parole mérite d’être prise en compte. Dans le fond, je sais qu’elle a raison, mais j’ai du mal à l’admettre. Je me rends compte, soudain qu’elle aurait dû déjà être mariée : les soins prodigués à notre père sont-ils la cause de ce célibat ?
– Tu sais que j’ai été fiancée très jeune au fils d’un ancien compagnon d’armée de notre père. Mais il a tout annulé lorsque notre frère a commencé à se faire
mal repérer.
– L’imbécile ! Refuser la sœur de Marcus Agrippa ! 
Pourquoi ne me l’as-tu pas dit ? Je t’aurais vengée ! Je peux te trouver un mari parmi mes meilleurs lieutenants ou parmi une noble famille romaine prête à s’allier à un ami d’Octavien ! 

– Inutile, c’est arrangé ! Il est revenu quand tu as été nommé en Gaules, en prévision de ton retour chargé de richesses. Il était prêt à répudier sa nouvelle épouse pour se rapprocher de toi ! Je n’en ai pas voulu ! Et je n’en veux pas d’autre. Je ne veux pas être un moyen d’alliance que l’on prend et rejette selon les circonstances. Je ne veux pas de filles qui n’auront pas d’autre choix que de subir de la même façon. Je ne veux pas choisir parmi mes fils celui qui assurera la prospérité de tous les autres. Je ne veux pas manigancer toute ma vie contre mon mari et ses enfants d’un autre mariage pour faire passer l’un des miens avant tous les autres ! T’es-tu jamais penché sur le sort des Romaines dont on dit pourtant qu’elles sont privilégiées ? Toi, tu as la chance d’être un homme et d’être puissant. Tu peux donner à tes enfants le droit de devenir ce qu’ils veulent être, sans dépendre de personne ! 
Je vois Polla sous un jour nouveau ; absorbé par mon ambition, je ne me suis jamais demandé ce qu’elle pouvait penser... ni même si elle pouvait penser différemment que moi. 


[…]

Pour creuser le tunnel, je fais venir des spécialistes des carrières d’Atticus. J’ai toujours été confronté à l’esclavage et je croyais y être habitué. Je sais aussi que le travail dans les mines est le plus terrible, avec une espérance de vie de deux ou trois ans. Mais quand je croise ces fantômes sans droits, ni âge, ni nom.... Quelle vision d’horreur ! La pâleur de leur chair privée des éclats du soleil... leur maigreur ridée... leurs gestes lents trahissant désespoir et épuisement...non, le pire, c’est leur visage, leurs yeux sans aucun éclat, leurs regards sans vie... insupportable !
Et pourtant, j’ai déjà vu sur le champ de bataille, des blessés se tordre de douleur au point d’être achevés, des prisonniers épouvantés, des punitions mortelles, des tortures même ! Mais, pour moi, ces horreurs avaient une cause, un sens, un caractère de nécessité et d’ailleurs, je les minimise au maximum, ne les appliquant qu’en dernier ressort. Comme disait mon père : « malheur au vaincu ». On gagne et on a la vie, la gloire et la fortune ; on perd et on devient esclave ou on meurt. C’est la loi de la guerre, choisie par le soldat. Mais ici, rien ne peut justifier l’état de délabrement et d’humiliation de ces ombres qui ont été auparavant considérées comme des hommes.
« On m’a prévenu que je dois être dur avec vous et bien vous encadrer sans épargner le fouet et les privations ; que c’est ainsi que vous pourrez encore, jusqu’à votre dernier souffle de vie, creuser la roche et ouvrir un passage vers la lumière dont d’autres profiteront. Je vous propose un autre choix : travailler dur mais sans chaine, manger à votre faim, épargner le fouet. Et si vous réussissez à construire le tunnel dont j’ai besoin dans les temps prévus, je vous affranchirai et vous serez à nouveau autorisés à jouir de cette lumière du jour qui vous fait tant défaut depuis de longs mois. »
Un silence pesant suit ma harangue, uniquement troublée par la voix de quelques traducteurs car tous les esclaves ne parlent pas latin. J’ai l’impression que ce manque de bruit humain dure des heures... quelques minutes en réalité, le temps de saisir et surtout croire en mon message. Un à un, par-ci, par-là, puis par groupes de plus en plus importants, les têtes se relèvent, les corps se redressent, les regards osent se tourner vers moi. Comme par magie, les yeux se remettent à briller. L’animal désespéré redevient humain ! Un brouhaha étonné s’ensuit puis une clameur dont l’effet est accentué par les bras qui se lèvent : oui, ils sont d’accord, pour Rome... et pour Agrippa, leur sauveur... et fils d’esclave affranchi !

[…]

On fait battre monnaie : sur une face on trouve mon effigie coiffée de ma couronne rostrale ; sur l’autre, Octavien. Nous étions amis, soudés l’un à l’autre depuis l’enfance et nous voici indéfectiblement liés par la même gloire, dans les mêmes victoires. On érige des statues où j’apparais avec les attributs de Neptune, dieu de la mer, à côté de celles de mon ami en Apollon, le frère de Vénus dont il se prétend descendant. On veut me voir, me recevoir, m’apercevoir, même de loin, me toucher lorsque je passe, comme si je portais bonheur ou pouvais guérir les malades !
Que pourrais-je espérer de plus ? Et bien, Octavien a trouvé un moyen supplémentaire de me montrer sa gratitude : « Te rappeler des Gaules et te confier l’armée, c
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Extraits du récit :

Ah ! Si Agrippa avait voulu... le sort du monde en aurait été changé !
Si Agrippa avait voulu... mais Agrippa ne voulait pas ! Nul besoin d’aborder le sujet ; c’était clair : la seule amitié possible entre eux devait être d’ordre fraternel ! N’est-ce pas en définitive la vraie raison qui a poussé Auguste, a refuser l’union de sa sœur et de son ami ? Comment aurait-il supporté, à ses côtés, à sa vue même, Agrippa heureux avec une femme ? Avec Attica, ou Marcella, il ne prenait pas de risque : il s’agissait d’unions de convenance... même si elles risquaient de changer de nature dans le temps... on ne peut pas être pleinement rassuré sur les sentiments d’Agrippa... mais avec Octavie, là, il y avait danger ! Leur passion était trop réelle ! Il fallait les éloigner l’un de l’autre ! Il n’y avait pas d’autre solution !
L’ambition ne vaut pas un tel sacrifice mais Rome en avait besoin. Il a vieilli, l’enfant puis le jeune homme fragile qui voulait être le plus puissant ! Entre les crimes et les trahisons nécessaires pour y arriver, Auguste s’est rendu compte de l’essentiel. Le pouvoir pour le pouvoir entraine dans une spirale mortifère et ce n’est pas son but.
D’ailleurs, ce pouvoir, le voulait-il vraiment pour lui ? N’était-ce pas aussi pour déclencher l’admiration d’Agrippa, pour le lui offrir et le garder à ses côtés ? La plus grande des victoires militaires, c’est d’être en paix avec l’être le plus aimé !
Et encore, et toujours, Auguste le sait, le sent, le souffre : il ne peut pas se passer d’ Agrippa !

[…]

Auguste se met à trembler. Il a toujours su qu’un jour il se trouverait face à ce dilemme : son ami ou le pouvoir. Etre un maitre absolu n’a pas de prix. On pense l’acheter en faisant des cadeaux, en gérant le monde avec plus d’équité, en s’attachant le peuple par plus de confort, de jeux, de sécurité. Mais ce n’est jamais assez : il faut tout lui sacrifier même sa famille et ses amis quand cela devient nécessaire. Auguste peut-il encore reculer ? A quoi sert de détenir tous les pouvoirs si on ne peut pas maitriser celui de ses proches ? C’est beau ce qu’il a bâti : une Rome plus belle que jamais, un empire* prospère, la paix universelle à l’intérieur des frontières ! Mais Agrippa, son ami d’enfance, son plus que frère, celui qui lui a permis d’obtenir toute cette puissance, pourrait-il la mettre en danger ? Mais pourrait-t-il encore rester Auguste sans le soutien d’Agrippa ? 


[…]

Il convient de prévenir Auguste même s’il ne verra pas les premières festivités. Il ordonne que soient donnés des sacrifices dans toutes les villes de l’empire et que l’on offre des réjouissances aux peuples. Sur place, il fait ouvrir ses jardins aux Romains et leur permet d’accéder librement à ses thermes. Sur la terrasse du palais, il peut regarder Rome, sa Ville, qu’il a embellie, sécurisée et apaisée, celle qu’il gouverne désormais en l’absence de son ami d’enfance. De cet endroit, un jour lointain, une louve a recueilli de petits jumeaux abandonnés qui allaient fonder la Cité la plus puissante de l’histoire. Et c’est à ce même endroit qu’Agrippa, quelques heures plus tard, présente urbi et orbi, à Rome et au monde, Caius Julius Caesar Vipsanius, son héritier et celui d’Auguste, celui qui rend l’empire héréditaire, le petit-fils d’un empereur et d’un esclave.
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Le regard du général revient sur la terre : il observe en contrebas, ces étranges forêts de troncs géants pétrifiés*. Il s’agit d’arbres immenses comme on n’en voit qu’en Afrique. On ne sait pas ce qu’ils font ici ni quel Titan les a cassés ainsi. Les habitants de l’ile en parlent avec respect et y voient la trace d’une colère de Jupiter : il a fait tomber sa foudre sur ces arbres trop grands qui menaçaient sa puissance. Et pour que les hommes se souviennent de la leçon, il a décidé que des sources chaudes couleraient à jamais de part et d’autre de l’ile.

Agrippa laisse au peuple ce qu’il considère comme de la superstition. Il doit bien y avoir une raison scientifique à ce paysage unique en son genre. Mais pour l’instant, peu lui importe. Ces troncs de séquoias pétrifiés semblent annoncer ce que risque de devenir son amitié avec Auguste : un amas d’actions extraordinaires qui tourneront au chaos si la mort les sépare ! Il est là, lui, Agrippa, dans une ile d’orient, pendant que son ami d’enfance se meurt.
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L’ambition ne vaut pas un tel sacrifice mais Rome en avait besoin. Il a vieilli, l’enfant puis le jeune homme fragile qui voulait être le plus puissant ! Entre les crimes et les trahisons nécessaires pour y arriver, Auguste s’est rendu compte de l’essentiel. Le pouvoir pour le pouvoir entraine dans une spirale mortifère et ce n’est pas son but.

D’ailleurs, ce pouvoir, le voulait-il vraiment pour lui ? N’était-ce pas aussi pour déclencher l’admiration d’Agrippa, pour le lui offrir et le garder à ses côtés ? La plus grande des victoires militaires, c’est d’être en paix avec l’être le plus aimé ! Et encore, et toujours, Auguste le sait, le sent, le souffre : il ne peut pas se passer d’Agrippa !
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Les esclaves... Rome et ses provinces ne peuvent s’en passer. Tout le monde, un jour peut le devenir : par dette, par jugement, par défaite au combat... Certains peuvent s’en sortir comme l’a fait mon père : par testament du maitre, en combattant dans l’arène ou en rachetant soi- même sa liberté par les bénéfices de son travail... Mais la grande majorité garde cet état dégradant toute leur vie : les esclaves ne sont que des choses qui doivent obéir à n’importe quelle injonction, même la plus dure ou humiliante. Certains, dans les mines notamment, ont une espérance de vie réduite à quelques mois... J’en frissonne, rien que d’y penser ! Moi, je suis né libre et citoyen romain* ! Pour le rester et le prouver, je suis prêt à me battre mais encore faut-il attendre le bon moment pour être sûr de la victoire !
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