Le narrateur,
Fielding, a tout juste 13 ans en l'été 1984 quand une chaleur suffocante commence à brouiller les repères des habitants de la petite ville de Breathed, la même que celle de
Betty. On dirait même qu'elle est restée figée dans les années 50. Les mêmes vérandas où se balancent les mêmes rocking chairs, les mêmes citronnades, la même rivière et les mêmes parties de pneus au-dessus de l'eau qui coule, large et profonde, les chemins sont toujours en terre, et les gamins jouent pieds nus …
Fielding habite au bout de l'un de ces chemins. Pour rentrer chez lui, il passe devant chez Elohim, qui pleure toujours sa fiancée disparue dans un naufrage et on peut apercevoir une diaphane toute jeune fille lisant sous un arbre, et dont la robe laisse apparaitre le bout d'une prothèse.
La famille du jeune garçon est à la fois aimante et dysfonctionnelle mais sans aspérités. La mère est l'incarnation même de la femme au foyer, elle n'en franchit d'ailleurs jamais le seuil, de peur que la pluie ne lui tombe sur la tête. Dans un clinquant quelque peu tape à l'oeil, chaque pièce est dédiée à une géographie typique qu'elle n'a jamais vue. le Grand frère est Grand, c'est le grand frère parfait, il répond à tous les critères attendus, beau gosse et tableau d'honneur au lycée comme au base ball. Il a juste quelque chose dans les yeux, un quelque chose qui aurait pu se dévoiler autrement que dans le sang et la douleur, si les choses avaient été autrement. Mais elle ne le seront pas, on le sait par
Fielding, celui qui raconte l'engrenage de cet été infernal, devenu un vieil homme, alcoolique miteux, crasseux, misanthrope. Car cet été là, celui de ses 13 ans, est arrivé le diable sous l'aspect d'un jeune garçon en salopette, noir de peau, aux yeux verts incandescents et transparents, un jeune garçon sorti de nul part à la recherche de crème glacée et que
Fielding et sa famille vont recueillir. Sal, une contraction de Satan selon lui, dit et répète qu'il est le diable, et à force de le dire, certains font finir par le croire.
Il faut dire que c'est le père de famille, un procureur honnête et droit, un peu guindé qui l'a invité à venir, en publiant une annonce dans le journal local à l'adresse du mal absolu dont il voulait éprouver l'existence. Initiative peu crédible, comme le personnage de Sal d'ailleurs qui tient des discours étranges, raconte des paraboles troublantes, enchaine les hasards, provoquant un émoi grandissant dans le village. La chaleur, la bêtise, font le reste. L'animosité est orchestrée par Elohim, Sal est la figure de la haine de l'autre, l'étrange étranger, le bouc émissaire … Mais pour le lecteur, il est surtout celui qui révèle le mal, qui soulève les secrets et devient la figure même de l'innocence.
J'avoue avoir eu du mal à me caler dans les années 80, l'arrivée du VIH, et le décor qui évoque irrésistiblement le temps de Ne tirez pas sur l'oiseau moqueur … dans le monde presque en papier glacé de la famille et le personnage de Sal, dont les agissements ne semblent pas les affecter plus que cela, au contraire, plus les accidents s'enchainent, plus l'ordre des choses est perturbé, plus elle se soude autour de lui, jusqu'à le défendre en tendant des fleurs … Un goût de trop aussi dans les thèmes brassés, fanatisme, bêtise collective, racisme, homophobie, mais l'écriture et l'élan des personnages vers la chute est malgré tout profondément prégnante.
Alors, comme pour
Betty, le déluge de malheurs fond sous la langue.
Lien :
https://aleslire.wordpress.c..