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Citations sur Leçons (51)

Historiquement, affirma-t-il, le christianisme avait été un éteignoir pour l’imagination européenne. L’expiration de sa tyrannie, quel cadeau ! Ce qui passait pour de la piété n’était que du conformisme imposé par un totalitarisme intellectuel d’État. Contester ou défier celui-ci au seizième siècle équivalait à risquer sa vie. Comme protester contre le réalisme socialiste dans l’Union soviétique de Staline. Cinquante générations durant, le christianisme avait fait obstacle non seulement au progrès scientifique mais plus ou moins à toute vie culturelle, à toute liberté d’expression et à tout questionnement. Il avait mis aux oubliettes pendant une éternité les philosophies tolérantes de l’Antiquité classique, condamné des milliers d’esprits brillants au puits sans fond d’ineptes querelles théologiques. Il avait propagé son prétendu Verbe au prix d’horribles violences et s’était maintenu en place par la torture, les persécutions et la mort. Doux Jésus, laissez-moi rire ! L’expérience que l’humanité avait du monde comprenait une infinité de sujets, et pourtant dans l’Europe entière les grands musées étaient pleins de la même camelote criarde. Pire que la musique de variétés. C’était le concours de l’Eurovision peint à l’huile et dans un cadre doré. En discourant il s’étonnait de la véhémence de ses sentiments et de son plaisir à se défouler. Ce flot de paroles – cette explosion – disait autre chose. Quel soulagement, conclut-il en se calmant, de voir une représentation d’un intérieur bourgeois, d’une miche de pain sur une planche en bois près d’un couteau, d’un couple de patineurs main dans la main sur un canal pris par les glaces, essayant de s’offrir un peu de bon temps « pendant que le foutu prêtre avait le dos tourné. Bénie soit la peinture hollandaise ! ».
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Dès que tu avais des enfants, lui expliquait Ruth, tu étais prisonnier du système [RDA]. Un écart des parents, une critique irréfléchie, et les enfants risquaient de se voir interdire l’accès à l’université ou à une carrière digne de ce nom. Une de leurs amies, mère célibataire, avait fait des demandes de visa répétées – n’écoutant aucune mise en garde. Résultat : l’État avait menacé de lui retirer son fils, un adolescent timide de treize ans, pour le placer à l’Assistance publique, institution réputée pour sa brutalité. Cette mère n’avait jamais refait de demande de visa. Ruth et Florian se tenaient donc « à carreau ». Oui, il y avait la musique et les livres, mais c’était un risque tolérable et nécessaire. Ruth veillait, disait-elle, à ce que son mari ait les cheveux coupés court, malgré ses protestations. Un look vaguement hippie – celui d’un « dissident normal », selon les termes officiels – pouvait attirer l’attention. Si le rapport d’un informateur laissait entendre que Florian avait « un mode de vie asocial », appartenait à « un groupe négativiste » ou était en proie à « l’égocentrisme », les ennuis commenceraient.
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À ses yeux elle était déjà morte et il la pleurait déjà, mais il ne pouvait le faire en sa présence. Il ne voulait pas être le premier à se lever. Un sentiment, non pas de la nécessité de prendre congé dignement, mais d’être polis, les retenait là. Roland avait passé beaucoup d’heures dans cette chambre surchauffée. Depuis des années la vie de sa mère était une longue marée descendante. En se retirant elle laissait derrière elle des flaques de souvenirs.
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Grâce au latin et au français il avait découvert l'existence des temps grammaticaux.
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Je menais la même vie que ma mère, je suivais exactement ses traces. Quelques ambitions littéraires, puis l’amour, puis le mariage, puis un bébé, toutes les anciennes ambitions mortes dans l’œuf ou aux oubliettes, et devant moi un avenir prévisible. Et l’amertume. Ça m’a horrifiée.
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Ce soir-là, il s’agissait d’une conférence donnée par un professeur de l’université de Nottingham. Le sujet annoncé était « Le Dauphin », recueil de 1973 pour lequel Lowell avait pillé, plagié et remanié les lettres angoissées et les appels téléphoniques d’Elizabeth Hardwick, sa femme, qu’il quittait pour une autre, Caroline Blackwood. Celle-ci était enceinte de lui et il avait décidé de l’épouser. Le sujet au sens large était l’absence de scrupules des artistes.
Devons-nous pardonner ou ignorer leur acharnement ou leur cruauté au service de leur art ? Et sommes-nous d’autant plus tolérants que cet art est grand ?
C’était la seconde raison de la présence de Roland.
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c'était un souvenir d'insomnie, pas un rêve!
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Selon la préface de l’édition de poche de Roland, Flaubert était lui-même tombé amoureux à quatorze ans d’une femme de vingt-six ans, mariée elle aussi. Elle avait fait partie de sa vie, par intermittence, durant près d’un demi-siècle. Quant à savoir si leur amour avait été consommé, les avis des universitaires divergeaient. Roland éteignit sa lampe et, quoique gagné par le sommeil, il fixa l’obscurité, cherchant à se rappeler son propre monde supérieur. Aucun bruit dans la chambre voisine. Avec Madame* Cornell, avait-il fait un pas de plus que Flaubert et son Frédéric sur le Pont-Neuf, ou était-il resté loin derrière ? Il ne pensait pas que le simple contact d’une main eût pu le transporter jusqu’à une telle félicité. Mme Arnoux avait offert la sienne à ses autres invités, et quand était venu le tour de Frédéric il avait éprouvé « comme une pénétration à tous les atomes de sa peau ». Un état d’excitation enviable dont tous les enfants des années 1960 s’étaient privés dans leur impatience à découvrir le plaisir charnel. Il ferma les yeux. Il faudrait des conventions sociales très strictes, un déni généralisé et beaucoup de malheur pour connaître des sensations si intenses après une poignée de main de pure courtoisie. Alors que le sommeil l’emportait sur ses pensées la réponse s’imposa : il était resté très loin derrière.
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Comme il était facile de se laisser porter par une vie que l’on n’avait pas choisie, par des réactions successives aux événements. Jamais il n’avait pris de décision importante. Sauf d’arrêter ses études. Non, c’était aussi par réaction. Il supposait s’être bricolé une sorte d’éducation, mais l’avait fait n’importe comment, en proie à la gêne et à la honte. Alors qu’Alissa… Il voyait la beauté du geste. Par une matinée venteuse et ensoleillée en milieu de semaine, elle avait radicalement transformé son existence lorsque, sa petite valise faite et laissant ses clés derrière elle, elle avait franchi la porte d’entrée, dévorée par une ambition pour laquelle elle était prête à souffrir et à faire souffrir.
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De temps à autre, lorsqu’il se sentait d’humeur durablement introspective, Roland réfléchissait aux événements et accidents, personnels et mondiaux, minuscules et capitaux qui avaient façonné et déterminé son existence. Son cas n’avait rien de particulier – tous les destins se constituent de la sorte. Rien de tel qu’une guerre pour faire pénétrer de force les événements publics dans la vie privée. Si Hitler n’avait pas envahi la Pologne, déroutant ainsi la division écossaise du soldat Baines de sa mission en Égypte vers le nord de la France, puis vers Dunkerque et les graves blessures aux jambes du soldat, jamais celui-ci n’aurait été déclaré inapte au combat et posté à Aldershot, lieu de sa rencontre avec Rosalind, et Roland n’existerait pas. Si la jeune Jane Farmer avait fait un saut de l’autre côté des Alpes, comme le demandait Cyril Connolly dans sa tentative pour améliorer l’alimentation de la nation après guerre, Alissa n’existerait pas. Banal et merveilleux. Au début des années 1930, si le soldat Baines ne s’était pas mis à l’harmonica, peut-être aurait-il eu moins envie que son fils prenne des leçons de piano pour accroître sa popularité. Ensuite, si Khrouchtchev n’avait pas installé de missiles nucléaires à Cuba et si Kennedy n’avait pas ordonné un blocus naval de l’île, Roland ne serait pas allé à vélo chez Miriam Cornell à Erwarton ce fameux samedi matin, la licorne serait restée enchaînée dans son enclos, et Roland aurait été reçu aux examens lui donnant accès à l’université pour étudier la littérature et les langues. Il n’aurait pas été à la dérive pendant plus d’une décennie, parvenant finalement à chasser Miriam Cornell de ses pensées pour devenir à l’approche de la trentaine un autodidacte passionné. Il n’aurait pas pris de cours de conversation allemande en 1977 à l’institut Goethe de South Kensington avec Alissa Eberhardt. Et Lawrence n’existerait pas.
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